Ils étaient tous les deux invités de l’émission Grand bien vous fasse d’Ali Rebeihi.
Enseignante en Seine-Saint-Denis, Mathilde Levesque remarque que ses élèves sont souvent sur la défensive. Elle s’est demandée pourquoi ils se sentaient si souvent agressés. Vivant dans le 93, un département qui n’a pas forcément une bonne image, ces adolescents souvent issus de l’immigration étaient des personnes en permanence considérées comme suspectes. Même quand ils n’étaient pas agressés, ils ressentaient la nécessité de se protéger. Pour les aider elle a écrit un manuel d’autodéfense intellectuelle.
Se construire un esprit critique
Mathilde Levesque : En cas d’agression verbale, il faudrait être en permanence en duplex. Ecouter ce que l’autre dit, et être dans l’interaction. Analyser ce qui est en train de se passer, être dans ce qui se dit, mais aussi comment ça se dit, parce que parfois on se sent humilié, on se sent agressé, mais ce n’est pas toujours volontaire.
Christophe André : Et le décodage est compliqué à conduire parce quand on se fait agresser, ça active automatiquement un réseau dans le cerveau limbique, émotionnel qui nous pousse, nous-même, à la contre-attaque. Il faut faire un travail psychologique très complexe : éteindre ses impulsions, allumer sa réflexion, respirer… Souvent on se simplifie la vie et on riposte.
Comprendre les motivations de l’agression
Christophe André : On agresse souvent par manque d’estime de soi. L’agression verbale est un moyen pour certains de se rassurer. Rabaisser les autres, est pour eux un moyen de rétablir de la distance, de rétablir une certaine supériorité. Or ce sont de mauvais combats. En psychologie, la bonne estime de soi, ce n’est pas le désir d’être supérieur aux autres, mais au contraire le renoncement aux comparaisons. C’est comprendre qu’on a tous à suivre notre route et à respecter la manière dont les autres suivent la leur.
Pour beaucoup de jeunes, c’est culturel : comme dans la chanson de Claude Nougaro, « on se traite de con, à peine qu’on se traite» dans sa chanson Toulouse, une culture dont ils finissent par oublier la violence potentielle.
Mathilde Levesque : Pourquoi la personne vous agresse : pour garder la face ? Pour dissimuler un mensonge ? Parce qu’elle a un « profil du bulldozer », celle du passage en force ? Souvent à la source d’une parole violente, il y a une volonté de préservation de soi, mal régulée qui sort de manière agressive. Parfois hélas, il n’y a pas de motivation c’est de la mauvaise humeur ou une contrariété de la vie… Et c’est la personne en face qui prend !
Ne pas sous-estimer l’humiliation
Erving Goffman, sociologue :
Les interactions sociales puisent leur source dans le souci de garder la face, de faire bonne figure.
Christophe André : Pour l’être humain, l’image de soi, c’est vital. Perdre la face est extrêmement dur. « L’humain est un animal social » disait Montesquieu. Donc ce n’est pas possible d’être mis à l’écart du groupe.
Certains vont rester dans le groupe en prouvant leur supériorité, d’autres en affichant leur soumission. Il y a tous ceux au milieu qui vont tenter de jouer des coudes pour montrer qu’ils sont plus forts, plus beaux, plus… C’est intolérable d’être tenu à l’écart, il n’y a pas de plus grande blessure. Cette mise à l’écart fait basculer les humains soit du côté de la dépression, soit du côté de l’agression. La personne qui se met en colère, perd la face. La colère est une perte de soi.
Répondre à une attaque verbale
Mathilde Levesque : Toute agression est une volonté initiale mal réglée de préservation de soi. Donc, en cas d’attaque, il faut se demander ce qu’on a touché chez elle qui l’a fait nous insulter, et essayer de répondre là-dessus, la renvoyer à ses manques, à son intolérance…
Christophe André : Pour répondre, il faut d’abord évaluer la dangerosité de la situation. Parfois les gens se mettent dans de tels états, que même un sourire peut les rendre violents.
La communication non violente
C’est très bien, il faut l’apprendre, mais c’est plutôt un outil de prévention parce que pour marcher, elle suppose qu’il y ait un espace de dialogue. C’est comme les mouvements de non-violence, ça ne marche qu’en démocratie. En dictature… beaucoup moins !
Dans la sphère privée, c’est pareil : si la personne se fiche du lien avec vous, qu’elle n’est pas intimidable, la communication non violente ne marchera pas.
Ne pas garder pour soi
Mathilde Levesque : Lors d’un conflit verbal, il faut prévenir qu’on va revenir en parler. Surtout, il ne faut pas garder cette violence pour soi, ne pas ruminer. Or c’est souvent ce qui se passe quand on ne contre-attaque pas, quand on n’a pas le sens de la répartie.
Les personnes humiliées qui n’ont pas réussi à riposter, vont ruminer leur colère, leur frustration, qui va se transformer peu à peu en rage, en haine avec souvent un désir de vengeance. D’où parfois des réactions décalées chez des personnes qui au départ étaient plutôt vulnérables, qui n’ont pas su quoi répondre, qui lorsqu’ils vont riposter, ce sera d’une violence extrême.
Cas particulier de manipulation verbale : l’aposiopèse
Mathilde Levesque : L’aposiopèse consiste à s’auto interrompre pour laisser à l’autre la responsabilité de la fin de la phrase. C’est par exemple : « Je te jure que si tu ne me dis pas avec qui tu étais … » C’est très anxiogène. L’autre menace mais vous en rend responsable et vous laisse imaginer la suite « Tu vas t’en prendre une », « je te quitte ». C’est assez pervers, la fin de la phrase est très claire, mais la personne ne se donne pas la peine de terminer pour doubler sa menace. Dans ce cas-là, il faut l’inviter à terminer sa phrase.
Des idées reçues à battre en brèche
On dit aussi que la vengeance est un plat qui se mange froid : non, chaque contexte est particulier, il faut savoir répondre au moment où l’agression a lieu, même si c’est pour dire, on en reparlera plus tard.
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