Par Sarah Terrien
«La dépendance affective». Ces dernières années, ce terme pseudo-psychologique a envahi les couvertures de magazines et celles des livres de développement personnel. Tantôt décrite comme le fait de ne rien pouvoir faire sans son conjoint, tantôt comme le fait de vouloir être aimé à tout prix, la dépendance affective «n’apparaît dans aucune classification médicale sérieuse», souligne Christophe Versaevel, psychiatre dans un Établissement public de santé mentale à Lille Métropole. «En revanche, elle peut se cacher dans le trouble de la personnalité dépendante», poursuit-il. Celui-ci se caractérise par un besoin permanent et excessif d’être épaulé, ce qui induit des comportements de soumission et d’attachement. Des attitudes qui ne se limitent pas au couple, mais qui s’étendent à la famille ou encore aux collègues de travail. Et contrairement aux idées reçues, cette pathologie ne se soigne pas à coups de méthodes miracles.
Une autonomie difficile
«Être attaché à son conjoint ou à sa famille, c’est sain. Mais dans le trouble de la personnalité dépendante, il y a quelque chose ‘de trop’ qui induit de la souffrance», explique Christophe Versaevel. «Soit ces personnes se considèrent comme incapables, ce qui les empêche de se débrouiller seules. Soit elles ont l’impression de ne pas être aimées, ce qui leur procure un sentiment d’insécurité affective. Dans les deux cas, la relation à l’autre est utilisée comme moyen de réassurance», poursuit-il.
Environ 2% de la population française serait concernée, tant les hommes que les femmes, selon Marlène Fouchey, psychologue spécialisée en thérapies cognitivo-comportementales à Lyon. Pour ces personnes, l’autonomie est un combat. Et cela ne concerne pas uniquement la sphère affective: «Elles sont dépendantes à tous les niveaux, y compris en ce qui concerne leur raisonnement. Elles adhèrent aux idées et aux comportements des personnes qu’elles fréquentent», précise Quentin Debray, professeur de psychiatrie et coauteur du livre Les personnalités pathologiques (Ed. Elsevier/Masson).
«Ce sont des personnes qui ne peuvent pas vivre seules car elles ont constamment besoin de quelqu’un pour valider leurs décisions», explique Marlène Fouchey. Et cela pour le choix d’un film, d’un restaurant ou encore dans le cadre professionnel. «Ce besoin de soutien à outrance amène ces personnes à adopter un comportement soumis et collant», précise Christophe Versaevel. «Elles demandent constamment conseil. Et pour ne pas perdre leurs relations, elles n’affirment jamais leurs désaccords», poursuit le psychiatre.
En finir avec les idées reçues
«Cela n’a rien à voir avec le fait de mal vivre une rupture amoureuse», met en garde Marlène Fouchey. «La crainte de la rupture est présente chez beaucoup de personnes, pas seulement chez les personnes souffrant d’un trouble de la personnalité dépendante», confirme Quentin Debray. «Cela n’a rien à voir non plus avec le fait d’être en couple avec une personne toxique et manipulatrice. L’attitude soumise du dépendant provient de son fonctionnement interne et non du comportement de la personne avec qui il partage sa vie», ajoute la psychologue.
«Ce n’est pas de la jalousie non plus», souligne Marlène Fouchey. Un cliché qui trouve certainement son origine dans le comportement parfois excessif des dépendants qui se manifeste par exemple par le fait d’envoyer constamment de nombreux messages à leurs proches. «Le dépendant n’envoie pas des textos pour vérifier avec qui se trouve son compagnon mais plutôt pour être rassuré qu’il soit toujours là», explique Quentin Debray. Une analyse partagée par Christophe Versaevel: «Ces personnes ont besoin d’éléments du réel qui vont les rassurer comme des appels téléphoniques qui veulent dire ‘je suis là’». Des comportements parfois difficiles à supporter pour l’entourage.
Des prises en charge efficaces
«Quand ces personnes parviennent à trouver un équilibre dans leur vie, ou dans leur couple, elles ne consultent pas», explique Marlène Fouchey. Mais quand leur quotidien s’en trouve trop affecté, une prise en charge psychologique peut s’avérer nécessaire. Et une chose est claire pour Quentin Debray: «La psychanalyse n’a rien à faire dans le traitement de ce trouble de la personnalité!»
La décision de consulter est souvent déclenchée par la survenue d’un épisode dépressif ou d’un trouble anxieux. Deux pathologies fréquentes chez les personnalités dépendantes. Au fil des séances, le professionnel va identifier le trouble à l’origine de ce mal-être, ce qui va permettre de mettre en place une thérapie cognitivo-comportementale centrée sur l’affirmation de soi.
«On apprend aux personnes à exprimer ce qu’elles veulent, à développer des activités réservées à elles seules», explique Marlène Fouchey. Pour le Dr Christophe Versaevel, il est primordial d’amener la personne à prendre conscience que ce sentiment d’incapacité est un ressenti, et non une réalité. «Il faut lui apprendre à se sentir capable en fonction de ses réelles capacités», poursuit-il. Entre les séances, les patients doivent faire des «exercices», comme aller acheter un vêtement seul dans un magasin.
La prise en charge ne dure pas forcément pendant des années: «Le patient ne va pas changer du jour au lendemain, mais on peut observer une évolution positive en quelques mois. Et, à terme, il peut sortir de ce fonctionnement pathologique», assure Christophe Versaevel.
Et le rôle du psychologue ou du psychiatre est particulièrement délicat. «Ces patients peuvent très facilement devenir dépendants de leur thérapeute, témoigne Marlène Fouchey. D’ailleurs, quand je reçois des dizaines de textos par jour d’un patient, c’est un indice qui oriente le diagnostic vers un trouble de la personnalité dépendante».