Par Lucie Marsaud
A l’heure d’Internet, il s’invite partout à toute heure de la journée, aux quatre coins du monde : le porno est sans doute parmi les industries du divertissement les plus consommées. Les sites qui lui sont dédiés font plus de trafic que Netflix, Amazon et Twitter réunis. On n’a jamais autant consommé de films pour adultes. Consommer est bien le mot. Les sonnettes d’alarme sont régulièrement tirées pour prévenir de ce danger imminent que pourrait représenter la pornographie sur nos comportements, et particulièrement ceux des générations futures.
🎧 Écoutez ►► La pornographie nuit-elle à notre sexualité ?
Mais à l’instar de votre panier de courses, une autre consommation est possible. Une alternative citoyenne en quelque sorte. Parce que regarder du porno, travailler dans le porno peut être un acte politique doublé d’un geste artistique.
Elles sont nombreuses, à travers le monde, à travailler sur l’image érotique, une autre représentation des corps, un autre cinéma pour adultes. Elles s’appellent Erika Lust, Emilie Jouvet, Four Chambers, Poppy Sanchez, Anoushka, Shu Lea Cheang ou encore Goodyn Green.
Pour en parler, nous sommes allés à la rencontre de l’une d’entre elles : l’artiste photographe et travailleuse du sexe Romy Furie Alizée. Passionnée de cinéma, de sexe, engagée et militante, elle a tourné son premier film pour adultes en 2015 avec la réalisatrice Emilie Jouvet. Elle nous raconte comment de consommatrice, elle est passée à modèle puis actrice.
Qu’est-ce le porno féministe ?
C’est un petit peu de pornographie qui remet au premier plan la sexualité des femmes, qui met en lumière les orgasmes féminins. Et qui s’intéresse aussi à ce qu’on ne voit pas à l’écran : les conditions de travail, les salaires, l’attention portée aux actrices, acteurs. On tend plus à l’appeler porno éthique d’ailleurs.
Comment on se retrouve à faire des films pour adultes féministes ?
A la base j’ai un grand intérêt pour tout ce qui est lié au sexe, que ce soit dans l’Art ou à travers un angle plus sociologique. J’aime aussi le cinéma et j’ai commencé par faire des études de théâtre. Mais finalement je me suis rendue compte que jouer quelqu’un d’autre je ne comprenais pas. J’avais donc envie de mixer les deux.
Quand j’avais 22 ans j’ai contacté Ovidie, mais je n’étais pas prête psychologiquement. Il m’a fallu pas mal de temps, ce qui est mieux parce qu’aujourd’hui ça me semble tout naturel d’en parler.
Quand je regardais du porno mainstream, ce que je n’aimais pas c’était que je trouvais ça assez ridicule et laid : toutes ces positions avec les filles qui sourient. Je trouvais ça plus drôle que sexy. J’ai donc attendu que des gens qui viennent d’écoles de cinéma fassent du porno, des gens avec une certaine esthétique.
Avertissement : cette vidéo peut contenir des images qui peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes spectateurs
Est-ce que c’est nouveau l’esthétisme dans la pornographie ?
Dans l’Art il y a toujours eu, mais c’était plus ou moins visible. Le porno en tant qu’objet de consommation, à but masturbatoire, n’a pas été exploité avec un angle artistique. Je pense que ce qui est nouveau c’est que désormais c’est accessible, on en parle et il y a des personnes qui ont un discours autour.
Par rapport à la consommation du public, où se place le porno féministe ?
Erika Lust a une fan base assez forte. [Dans une interview la réalisatrice suédoise disait qu’après sa mise en ligne, son premier film avait généré 2 millions de téléchargements]
Après moi en tant que consommatrice, je dois avouer que je consomme du porno mainstream mais pas pour les mêmes raisons que le porno féministe. Je ne vais pas y chercher la même finalité. Mais je pense que ce n’est pas lié à l’objet en lui-même mais plus à une question d’habitudes. On a été habitués à se branler sur des gros plans bien crades qui n’en finissent pas. Maintenant j’ai pris conscience de certaines choses, c’est plus facile de me masturber devant une vidéo où la meuf a l’air de prendre son pied à mort ou domine un petit peu.
L’ère des réseaux sociaux, et du tout gratuit, quelles incidences sur le porno ?
Il faut que les gens se disent qu’il est possible de faire du porno qui leur ressemble. C’est en créant davantage de films avec des points de vue différents que cela pourra rentrer dans la masse aussi. Après il y a évidemment la question du coût. Parce qu’évidemment les tubes sont gratuits alors que les films d’Erika Lust (par ex) il faut payer. Il faut dire qu’on ne paie plus pour écouter de la musique, alors payer pour regarder du porno ? On est trop habitués à la gratuité.
Comment convaincre les amateurs de porno mainstream de choisir cette alternative ?
Les gens s’intéressent moins aux secrets de fabrication du porno, parce que le sexe c’est la sphère privé, c’est lié aussi à la honte, aux névroses personnelles. Le sexe on le consomme chez soi principalement, sans trop en parler.
L’important aujourd’hui c’est qu’on commence à en parler, qu’on commence à se poser la question du bien-être des actrices. Les enjeux féministes reviennent, pendant longtemps ils dormaient. Il y aura toujours une consommation frénétique du porno, mais si des personnes continuent à en faire avec une autre vision, ça élargira aussi l’audience.
ALLER PLUS LOIN
📷 Romy Alizée vient de sortir un livre de ses photos intitulé « Furie », vous pouvez également suivre son travail, ses expositions sur son compte Instagram et son site.
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