L’OMS va reconnaître l’addiction aux jeux vidéo comme une maladie mentale à part entière


Par Oihana Gabriel

Illustration d'un jeu vidéo.

En juin, l’OMS devrait inscrire l’addiction au jeux vidéo, qui divise la communauté scientifique, dans sa liste des maladies mentales…

  • C’est un coup de tonnerre annoncé en janvier, qui doit se concrétiser en ce mois de juin: l’OMS doit faire entrer l’addiction aux jeux vidéo dans les maladies reconnues.
  • Cette décision pourrait faciliter les soins spécialisés pour les patients qui n’arrivent pas à lâcher leur jeux vidéo au point de mettre leur vie sociale et leur santé en danger.
  • Mais ce choix provoque aussi des remous au sein de la communauté médicale et une levée de bouclier des industriels.

C’est une nuit blanche les yeux exorbités devant l’écran, le boss à tuer qui vous obsède plus que votre chef, un dîner oublié parce qu’on ne peut pas arrêter sa partie, les heures à la salle de jeux dans des mondes infinis qui remplacent les apéros ou les cours… Autant de signes qui doivent alerter car l’addiction aux jeux vidéo est désormais prise très au sérieux. En janvier 2017, l’OMS avait annoncé qu’elle réfléchissait à classer l’addiction aux jeux vidéo comme une maladie, au même titre que l’addiction aux jeux de hasard. Une position qui divise au sein de la communauté scientifique. Pourtant, pour certains experts, cette reconnaissance pourrait changer beaucoup pour les patients.

Des patients qui seraient de plus en plus nombreux si l’on en croit l’enquête sur les addictions des jeunes Français dévoilée vendredi qui estime qu’ un jeune de 14 à 24 ans sur six s’adonne plus de cinq heures par jour aux jeux vidéo et 7 % plus de huit heures.

De la passion à l’addiction

Quels sont les signes qui montrent qu’un gamer tombe dans l’addiction ? Selon l’OMS, ces troubles mentaux peuvent être diagnostiqués à condition que sa consommation excessive de jeux « entraîne une altération non négligeable des activités personnelles, familiales, sociales, éducatives, professionnelles ou d’autres domaines importants du fonctionnement » pendant un an.

« Ce n’est pas tellement le nombre d’heures de jeu, mais les répercussions qu’il faut regarder », confirme Bruno Rocher, psychiatre spécialisé en addictologie au CHU de Nantes. Pas la peine de minuter votre ado subjugué par son écran donc. S’il y a une perte de contrôle, s’il joue plus longtemps que prévu, n’arrive pas à s’arrêter, déprime quand on lui enlève ses manettes, c’est plus inquiétant.

« Il faut aussi observer l’impact sur sa santé physique : des sécheresses oculaires, des douleurs musculo-squelettiques peuvent apparaître, liste le Dr Rocher. Les patients que je suis ne se rendent même plus compte qu’ils ont mal tellement ils sont dissociés. » Quel est le portrait-robot de ces gamers qui consultent ? « La moyenne d’âge tourne autour de 24 ans et c’est dans 98 % des cas des hommes », reprend le psychiatre.

L'addiction aux jeux vidéo pourrait être reconnue comme maladie.

Des troubles rares

« La communauté scientifique a été longtemps dans le déni de cette addiction, déplore Michaël Stora, psychologue et co-auteur de Hyperconnexion. Or, il faut reconnaître que le jeu vidéo est un objet de plaisir, qui pour certaines personnes peut se muer en addiction comportementale ».

Pour une faible minorité tout de même. « Entre 0,5 et 1 % de la population française aurait une utilisation problématique des jeux vidéo », avance le Dr Rocher. Cette estimation reste toutefois à nuancer car il existe peu d’études sur cette question, beaucoup de ces personnes ne consultent pas… et surtout, avec l’explosion de cette consommation, ces chiffres pourraient être rapidement obsolètes.

Mais ces troubles ne touchent pas n’importe qui… « Je repère des jeunes qui sont élevés à l’ère de la compétitivité, pris dans des angoisses de réussite et de performance, reprend Michaël Stora. Souvent, quand ils sont confrontés à des échecs familiaux ou scolaires, ils vont utiliser le jeu vidéo pour continuer à gagner. »

Une meilleure prise en charge

Concrètement, qu’est-ce que cette reconnaissance mondiale peut changer pour les patients ? Des médicaments remboursés, un congé maladie si besoin, mais surtout une prise en charge plus spécifique. « Aujourd’hui, à défaut de parler d’addiction au jeu vidéo, certains jeunes vont être diagnostiqués comme psychotiques, souffrant d’une phobie scolaire, regrette Michaël Stora. Il arrive que ces jeunes soient hospitalisés, sous médicaments, ce qui n’est pas forcément indiqué. »

Pour beaucoup, cette officialisation pourrait également aider les nombreux patients qui minorent leurs symptômes ou n’osent pas consulter. « Cette reconnaissance permettrait d’ouvrir des centres spécialisés, des formations sur cette addiction, de débloquer des fonds », espère Christophe Cutarella, psychiatre addictologue, membre du collège scientifique de la fondation Ramsay générale de santé. « L’idée serait de mailler le territoire avec un centre de soins pour l’addiction aux jeux vidéo par région », espère le Dr Rocher. Mais les experts ne nient pas qu’il existe aussi un risque de diagnostics exagérés. Et que ces patients, désormais atteints de troubles mentaux, risquent d’être stigmatisés.

Pratiques excessives vs addiction

L’autre enjeu, c’est d’encourager la recherche. D’autant qu’une définition mondiale permettrait « au monde entier de comparer et d’échanger des données de manière cohérente et normalisée – entre les hôpitaux, les régions, les pays et au cours du temps », souligne l’OMS. Un préalable pour mieux évaluer la prévalence par tranche d’âge, l’évolution, les causes de cette addiction comportementale récente et peu étudiée.

L’industrie du jeu vidéo, vent debout contre la décision de l’OMS, n’hésite d’ailleurs pas pointer du doigt le manque de données scientifiques sur le sujet. « Assimiler le jeu à la consommation de drogue, c’est un problème, s’alarme Julien Villedieu, délégué général du  Syndicat national du jeu vidéo. En général, avant de classer telle utilisation en addiction, l’OMS rassemble des études scientifiques et épidémiologiques. A ce jour, aucune étude épidémiologique n’a pu conclure de manière irréfutable qu’il existait une addiction au jeu vidéo. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas traiter le sujet, mais prendre le temps d’étudier la question avant de décider. »

Car, au-delà du lobby du jeu vidéo, la communauté scientifique n’est pas unanime : en 2012, l’Académie de médecine n’a pas retenu le terme d’ «addiction», lui préférant celui de « pratiques excessives » des jeux vidéo. Si certains médecins alertent plus globalement sur les dangers d’une omniprésence des écrans, d’autres soignent grâce à des jeux vidéo.

Pour le Dr Cutarella, au contraire, cette définition précise « permettra d’utiliser les bons mots, de mettre dans les bonnes cases pour empêcher toute dérive : le tabou ou le « addict à tout ». C’est vrai qu’on a un peu tendance à utiliser le mot addiction à toutes les sauces, mais il faut différencier le marketing et la pathologie : « addict à la plage » n’a pas de sens, en revanche l’addiction aux jeux vidéo provoque de véritables troubles, notamment le craving, ce besoin irrépressible qu’on retrouve dans l’addiction avec produit. »

Sensibiliser

Certains voient aussi dans cette reconnaissance, l’opportunité de mieux prévenir ces risques d’excès de consommation de jeux vidéo. « Cela va peut-être créer une forme de vigilance, montrer qu’il faudrait qu’idéalement les éditeurs aient une position responsable », ajoute Michaël Stora. Comment ? Par des messages d’alerte quand on remarque que le gamer joue douze heures par jour, un numéro gratuit comme pour les addicts aux jeux d’argent…

Pour cela il faut toucher également les parents, qui peuvent s’inquiéter pour rien ou au contraire passer à côté des alertes. « Plutôt que de médicaliser, il faut sensibiliser, tranche Laurent Villedieu. C’est vrai que nous avons un travail d’information à faire auprès des parents qui ne savent pas toujours qu’on peut sur l’ensemble des supports limiter le temps et choisir le bon jeu en fonction de l’âge. »

Quand on connaît mal un média, c’est toujours plus difficile de mesurer ses avantages et ses limites. Avec une difficulté supplémentaire quand on parle de jeux vidéo, souligne Bruno Rocher : « le grand public mélange parfois la question de la violence avec le risque d’addiction, deux problématiques différentes. Mais qui peuvent donner facilement l’impression qu’on accuse les jeux vidéo de tous les maux de la société. »

20Minutes

Vous avez un Avis à donner ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Pour information

Les articles qui sont présentés sur le site sont une sorte de bibliothèque de sujets que j’affectionne particulièrement et qui sont traités dans différents média et mis à votre disposition. Cela pourrait s’appeler « Revue de Presse », mais c’est plus que cela, vous trouverez également des contenus bruts (Vidéo, recherches scientifiques, émissions de radio, …).

Je ne suis pas l’auteur de ces articles, en revanche, les auteurs, les sources sont cités et les liens sont actifs quand il y en a pour que vous puissiez parfaire votre information et respecter les droits d’auteurs.

Vous pouvez utiliser le moteur de recherche qui se situe en dessous et utiliser des mots clés comme alcool, dépression, burn out, … en fonction de votre recherche. Ainsi vous trouverez différentes publications, « articles » qui ont attiré mon attention.

Très bonne lecture.