Par Louis Cornellier
Vous avez certainement déjà entendu parler de « l’expérience de Stanford sur la prison ». Presque tous les manuels de psychologie en font état.
En août 1971, à l’Université Stanford, en Californie, le professeur Philip G. Zimbardo met en place une fausse prison. Vingt-quatre étudiants volontaires sont affectés, au hasard, aux rôles de gardiens ou de prisonniers. L’objectif est de voir comment ils se comporteront.
L’expérience doit durer deux semaines, mais l’expérimentateur l’arrête après six jours parce que certains étudiants « détenus » craquent sous la pression imposée par leurs camarades « gardiens ». Ainsi, la preuve est faite : l’environnement dans lequel nous sommes plongés influe profondément sur nos comportements, peu importe notre personnalité, et la frontière entre le bien et le mal est fragile.
L’expérience aura un retentissement international et durable. Des auteurs aussi sérieux que le sociologue polonais Zygmunt Bauman et l’historien américain Christopher Browning la citeront pour expliquer la folie des Allemands ordinaires à l’époque du nazisme. Dans le domaine de la psychologie sociale, elle est presque aussi célèbre que l’expérience de Milgram sur l’obéissance à l’autorité (1961-1962), dans laquelle un enseignant demandait à des participants d’infliger des décharges électriques à un mauvais élève. Or, tenez-vous bien, selon le Français Thibault Le Texier, docteur en économie et chercheur en sciences sociales, ces deux expériences n’ont pas vraiment de valeur scientifique !
Mauvaise science
Dans Histoire d’un mensonge. Enquête sur l’expérience de Stanford (La Découverte, 2018), Le Texier se livre à une critique en règle de ce qu’il qualifie de mise en scène. Le chercheur a tout lu de ce qui s’est écrit sur cette expérience, a vu tous les films et documentaires qui en ont été tirés et a interviewé plusieurs de ses participants. Sa conclusion est assassine : cette expérience, certes fascinante, ne vaut rien, sauf à titre d’exemple de mauvaise science.
Il y a, d’abord, une évidence. « Une expérience n’ayant lieu qu’une seule fois et n’impliquant qu’une vingtaine de personnes n’a aucune valeur scientifique », note le chercheur. Dans une récente étude, le psychologue américain Brian Nosek en arrivait d’ailleurs à la conclusion que seulement un tiers des études menées dans son domaine réussissaient le test de la reproductibilité. Aussi, tirer des conclusions sur la base d’une seule expérience ne fait pas sérieux, en psychologie comme en tout autre domaine.
L’enquête de Le Texier va plus loin et s’avère une remarquable leçon d’épistémologie. Le chercheur, qui retrace le passionnant parcours de Zimbardo, établit que ce dernier, qui était un militant antiprisons, ne cherche pas, par son expérience, à tester des hypothèses, mais à confirmer son opinion sur « la toxicité de la prison ». Il connaît d’avance les résultats qu’il veut obtenir. Ce biais entachera toute la démarche.
Zimbardo a toujours prétendu qu’il n’avait imposé aucune règle à ses volontaires. C’est faux, illustre Le Texier. Les « gardiens » sont mis au courant des résultats attendus et sont incités à créer un environnement malsain. L’expérimentateur, de plus, intervient sans cesse dans l’expérience. Les participants, des habitués de ce type d’exercice, sont conscients qu’ils jouent un rôle et souhaitent le succès de l’opération. Comment, dans ces conditions, attribuer une valeur aux résultats obtenus ? Ce n’est plus de la science ; c’est du mauvais théâtre.
Convictions et vérité
« Zimbardo a eu raison de rappeler que nous vivons sous l’influence de notre environnement et il a eu raison de dénoncer la prison — ce que j’ai appris durant ces recherches m’a convaincu que cet endroit est presque toujours un enfer », écrit Le Texier. Le tort du psychologue est le suivant : jouer les scientifiques en manipulant les règles de la science pour dénoncer une injustice.
Le Texier ne veut pas accabler Zimbardo. Il dit même le croire bien intentionné, non sans souligner, dans un passage décapant, que le psychologue, aujourd’hui, dirige une fondation chantant les vertus de l’héroïsme individuel, c’est-à-dire la capacité de s’extraire d’une situation malsaine, une thèse qui contredit son expérience phare.
Le problème, précise Le Texier, n’est pas que les chercheurs aient des convictions, des intérêts et des préjugés. Nous en avons tous, et c’est la raison pour laquelle « une science pure est une chimère ». La méthode scientifique conserve, malgré tout, sa valeur, dans la mesure où l’honnêteté et le souci de l’objectivité la guident et où, surtout, le respect de la vérité s’impose comme une obligation.
Dans cette histoire, encore célébrée comme une référence, mais brillamment déconstruite par Le Texier, le pieux mensonge domine. La psychologie a du ménage à faire.
One comment on “Du mensonge en psychologie”
Matthieu JOLY
17 juillet 2018 at 16:38Vous pouvez trouver un complément d’information sur le lien suivant :
https://www.lci.fr/sciences/comment-un-chercheur-francais-est-devenu-le-bourreau-de-la-celebre-experience-de-stanford-2093105.html