Quand nous entrons pour la première fois dans la pièce qui accueille le groupe, il y a deux « nouveaux ». Deux hommes d’une soixantaine d’années qui découvrent le mouvement et franchissent le pas de la porte pour la première fois. Ils entrent dans une pièce en sous sol, prêtée par la mairie de Neuilly sur Seine, ville bourgeoise de l’ouest parisien. Les premiers arrivés installent de quoi prendre un café, et posent des poignées de bonbons un peu partout.
L’un est saoul, accompagné de sa fille, qui l’a visiblement traîné ici, mais qui montre ostensiblement qu’il n’a pas l’intention de revenir. L’autre est sobre, jure que son travail est la source de tous ces problèmes. Quand il en a trop , il boit. Quand il n’en a pas assez, il boit. Nous ne reverrons aucun des deux à la lundi du lundi après-midi du groupe de Neuilly.
Au début de ce reportage, le coronavirus nous est étranger. Nous sommes en janvier, les protagonistes se font la bise. Ils se retrouvent dans cette pièce sans fenêtre une fois par semaine. Les AA se livrent sur les thèmes choisis. Parfois sur la culpabilité, sur la quête d’être aimé de tous, sur la souffrance etc.
Les réunions des AA suivent un rituel immuable à travers le monde. On se confie de la même manière à Jakarta, Los Angeles ou à Auxerre. Une heure et quart de rencontre, un thème choisi par le modérateur qui anime la rencontre. Ce thème est ensuite commenté par ceux qui le souhaitent. On ne doit pas couper la parole et toujours attendre la fin d’une intervention pour s’exprimer. Les nouveaux doivent écouter et s’exprimer en dernier.
Il y a souvent des références à Dieu, on entend une prière collective célébrée à la fin de la réunion, car tout est calqué sur le modèle américain. Beaucoup de membres des AA n’adhèrent pas à ce vocabulaire religieux, mais ils s’en accommodent car ça fonctionne, à l’image de Jean-Claude que l’on entend régulièrement se moquer de cette prière qui « ne lui écorche même plus la bouche ».
Et puis dans cette année à leurs côtés, à la mi-mars, il y a eu cet inconnu qui a pris toute la place dans nos vies : le Covid-19. Finies les réunions dans la petite pièce prêtée par la mairie. Place aux visio-conférences.
La parole est tout aussi libre, mais parfois avec des témoignages à déchirer le coeur quand Maryline avoue avoir « rechuté » après ces 9 ans d’abstinence. Ou Marc qui a peur devant sa « sale rechute soudaine ». Ou Éva qui n’a pas encore retouché à la bouteille mais dont on comprend qu’elle en est si dangereusement proche.
Dans la philosophie des AA, l’alcoolisme est une maladie, pas une tare ni une faiblesse. Mais une maladie des émotions, comme le dit Virginie abstinente depuis un an et demi désormais. Pour eux, le confinement, l’isolement, parfois la solitude, a représenté une épreuve supplémentaire qui a fait revenir certains membres vers la bouteille. Mais pas la plupart qui lutte pour se guérir de cette maladie.
Depuis le groupe de Neuilly ne se retrouve qu’en visio. La salle leur reste interdite, à cause de la situation sanitaire qui ne s’améliore pas.
Ces réunions numériques ont permis de rajeunir quelque peu les membres des Alcooliques Anonymes. Le confinement n’a pas déclenché leur alcoolisme, mais ils en ont pris conscience. Dans la dernière étude du mouvement, il a été montré que 6 membres sur 10 des AA avaient entre 50 et 70 ans.