Transidentité : Ma fille est devenue un garçon


Par Valérie Péronnet

Transidentité : Ma fille est devenue un garçon

Il y a vingt ans, Mélanie met au monde Charlotte, son premier enfant. Aujourd’hui, Charlotte s’appelle Lucas, et tout va (presque) bien.

Récit d’une métamorphose.

« Pour son premier carnaval de maternelle, Charlotte a voulu se déguiser en cow-boy. Elle avait 3 ans. L’année d’après, c’était Spiderman, et la suivante, d’Artagnan. Ma fille était un adorable garçon manqué et ça lui allait très bien. À nous aussi. Elle était inscrite au foot, ses copains la trouvaient cool et ses copines, marrante. Je m’en fichais qu’elle ne porte jamais de robe, mais je tenais à ses beaux cheveux mi-longs, malgré lesquels on la saluait régulièrement d’un “Bonjour jeune homme”. On s’est tous habitués. Assez vite, je me suis dit qu’elle était peut-être homosexuelle. Je sais, c’est un peu cliché, mais j’ai fait très attention de faire savoir à la maison que tout le monde était le bienvenu, que chacun était différent et que ça ne posait pas de problème. Pour qu’elle se sente libre et à l’aise avec qui elle était, et qu’elle puisse en parler, le jour où elle aurait besoin.

Le jour est venu. Elle devait avoir 12 ou 13 ans, elle m’a dit que je me trompais sur sa personne, qu’elle n’était pas une lesbienne garçon manqué. “Je suis un vrai garçon, enfermé dans un corps qui ne m’appartient pas.” Elle s’était beaucoup renseignée, elle m’a parlé très tranquillement du syndrome de Benjamin1, m’a dit que ça correspondait exactement à ce qu’elle ressentait, et à qui elle était. Ça n’avait pas l’air de l’inquiéter. Je n’y connaissais rien, mais quelque chose en moi savait qu’elle avait raison. Je lui ai dit que j’avais entendu, que je ne savais pas ce qu’il fallait faire, mais que j’allais chercher et que, de toute façon, je serais là. J’ai passé des nuits sur Internet. Plus les informations m’arrivaient et plus j’étais soulagée : je sentais qu’elle avait trouvé ce qu’elle cherchait, ce qu’il cherchait, depuis toujours. Tout était étrange pour moi, mais tout sonnait juste. En découvrant les témoignages sur les forums en ligne, rien ne m’a vraiment effrayée à part une chose : le nombre de suicides de ces enfants-là. Je devais absolument le protéger de ça.

Les semaines qui ont suivi, je me suis repassé le film de son enfance et c’est comme si tout s’éclairait : en fait, il a toujours été un garçon.

Il nous a juste fallu le temps de le comprendre… Un jour, il m’a dit : “Je suis une erreur de la nature”, et ça m’a bouleversée. Pas question que mon enfant soit une erreur ! J’ai cherché qui pouvait m’aider à l’aider, et j’ai trouvé un pédopsychiatre qui a accepté de nous recevoir. Nous nous sommes engagés dans cette aventure, Charlotte, ce psy et moi. Il a fallu en parler à son père, dont je suis séparée depuis longtemps, et à mon compagnon, avec qui nous vivons. Ils se sont adaptés, assez vite. Moins quand même qu’Éloïse, sa petite sœur, qui, du haut de ses 4 ans, a immédiatement admis que sa grande sœur était en fait un grand frère ; comme si elle le savait depuis toujours… Ça a pris deux ans, juste avant son entrée au lycée, pour que le pédopsy signe un certificat établissant qu’il s’agissait bien du syndrome de Benjamin. C’est à ce moment-là que je me suis autorisée, et nos proches aussi, à parler à Charlotte, et de Charlotte, au masculin. Et finalement à l’appeler Lucas, le prénom que ses amis l’ont aidé à choisir. La première fois que j’ai prononcé son nom, j’étais très émue. Ça n’a posé aucun problème à ma grand-mère de 95 ans, mais ça a été plus difficile pour son père… Lucas a traversé, et nous avec lui, une adolescence mouvementée, au cours de laquelle il s’est posé beaucoup de questions sur qui il était et quel adulte devenir, ce qui nous a beaucoup interrogés sur qui nous étions et comment l’aider à grandir. À peine plus que tous les adolescents, il me semble ! J’ai compris qu’il y avait des solutions pour lui, mais que le parcours serait long. Je l’ai soutenu comme j’ai pu dans son processus de transition, en l’aidant à trouver la bonne équipe médicale, en l’accompagnant à ses rendez-vous, en participant aux discussions précédant chaque prise de décision. Nous avons trouvé un endocrinologue, malheureusement un peu trop tard ; si j’avais su que ça existait, j’aurais tout fait pour qu’il bénéficie d’un traitement qui bloque la puberté, comme il en existe dans d’autres pays2. Ça l’aurait dispensé de cette épreuve très douloureuse qu’a représenté l’apparition des règles, et des seins qu’il a dû bander pendant des années.

À 18 ans, quand il a enfin pu commencer un traitement hormonal, j’ai vu son bonheur à se transformer,

mais aussi ses difficultés (et les nôtres !) à dompter son humeur, perturbée par la testostérone, et la manière dont il apprenait à apprivoiser son corps en pleine métamorphose. Jamais je n’ai pensé avec regret à la jeune fille qu’il aurait pu être : ce qui m’importe, à moi, c’est de lui donner tout ce dont il a besoin pour être qui il est, et que ça le rende heureux. Son courage, sa force, son énergie me bouleversent infiniment. Il est impressionnant de solidité et de détermination. Je ne vois pas comment je pourrais en manquer, moi, face à lui. À un moment, ça a beaucoup tangué entre nous. Au point que j’ai décidé de demander de l’aide : pendant un an, Lucas a été suivi par une éducatrice. Ça a été salutaire. Je pense qu’il avait besoin d’un adulte extérieur pour dédramatiser nos relations familiales et prendre pied dans sa nouvelle vie de jeune homme. Depuis, tout se passe plutôt bien pour lui.

Nous habitons une petite ville de province où personne n’a rien trouvé à redire à l’apparition de Lucas. J’ai eu droit à quelques maladresses, mais aucune réelle agressivité. Ses copains l’ont soutenu depuis le début. Il a pu faire sa rentrée en seconde sous le nom de Lucas. Les enseignants que je suis allée voir, à sa demande, pour leur expliquer ont presque tous été compréhensifs et l’ont accueilli tel qu’il est. Même chose pour les parents de ses petites copines : au début, il a eu besoin de mon aide pour leur expliquer que leur fille n’était pas homosexuelle, mais bien amoureuse d’un garçon. Très vite, il s’est débrouillé tout seul.

Depuis sa majorité, les choses se sont accélérées, à son grand soulagement. Il y a deux ans, Lucas a commencé la partie chirurgicale de sa transition, qui comporte trois phases : mammectomie, hystérectomie, puis reconstruction génitale. Même si l’idée est violente, et la réalité douloureuse, je ne souffre pas pour lui : chaque étape est une avancée nécessaire pour réparer là où la nature s’est trompée, et qu’il puisse être dans son véritable corps. Je sais que c’est ce qu’il veut et que c’est vital pour son épanouissement d’homme. C’est son corps d’avant qui lui fait mal, pas celui qu’il est en train de construire…

1. Transsexualisme comportant un sentiment profond d’appartenir au sexe opposé, au point que l’individu transsexuel demande une transformation corporelle conforme à son identité sexuelle par des traitements hormonaux et chirurgicaux, Dictionnaire médical de l’Académie de médecine, 2018.

2. Dans certains pays comme les Pays-Bas ou la Belgique, le blocage pubertaire, qui permet au corps de l’adolescent de ne pas se transformer jusqu’à ce qu’il soit en âge de prendre une décision, est pratiqué depuis longtemps. En France, c’est encore assez rare.

Je ne peux pas dire que ça a été facile. Mais je peux dire que ça n’a pas du tout été le drame insurmontable qu’on pourrait imaginer. Et entre nous le dialogue n’a jamais été rompu. Bien sûr, ma vie a été chahutée, et ça m’a pris une énergie folle d’accompagner Lucas dans cette traversée. D’ailleurs, l’an dernier, quand j’ai senti qu’il était sorti d’affaire, et que tout le parcours était bien balisé, je me suis effondrée. J’étais vidée et un peu perdue ; ça m’a valu quatre mois d’arrêt maladie, le temps de reprendre mon souffle et de me recentrer. Et puis la vie a repris son cours. Il y a quelques semaines, mon fils a enfin reçu l’acceptation du tribunal, sans difficulté, du changement d’identité et de sexe. Et moi, je prépare mon mariage avec le papa de sa petite sœur. Je l’ai toujours cru, mais mon voyage hors du commun avec Lucas en est la preuve éclatante : l’amour peut tout dépasser. Lucas et moi, on a grandi ensemble. Aujourd’hui, il a une belle vie devant lui. Et moi aussi. »

“Je ne pouvais pas espérer mieux que ce que je vis”

Lucas, 20 ans

« Quand j’ai commencé à rencontrer d’autres personnes dans mon cas, j’ai réalisé la chance que j’avais d’avoir une mère comme la mienne. Je n’ai jamais eu à cacher qui je suis et ça ne m’a jamais mis mal à l’aise. Sauf quand je suis en face d’une fille qui me plaît, j’ai toujours un peu le trac avant de lui expliquer. Quand je repense à tout ce qu’on a traversé, ma mère et moi, c’est impressionnant. Il ne faut pas laisser son enfant seul avec ça, c’est trop difficile à gérer. Les enfants ont besoin d’être accompagnés. J’ai des copains qui n’ont pas eu à affronter tout ça et qui ont bien moins confiance en eux que moi ! Je suis différent, mais pas tant que ça au final. C’est notre plus belle victoire. Bien sûr, il y a eu des moments difficiles, comme quand la mammectomie a été annulée deux jours avant la date prévue sous prétexte que je n’avais que 17 ans et demi. J’ai dû attendre un été de plus pour pouvoir enfin me baigner. On pourrait nous dispenser de ces épreuves-là, comme de la puberté, et j’espère que ça va arriver bientôt. Mais même si ça a été long, et parfois interminable, tout ce temps à attendre a été utile. Il m’a permis de m’apprivoiser, et de laisser les autres m’apprivoiser. Grâce à ma famille et mes amis, rien n’a été insurmontable. Si je croisais Charlotte aujourd’hui, je lui dirais d’avoir confiance. Si on se bouge et qu’on se donne les moyens, il n’y a pas de quoi désespérer. Et si on n’a pas la chance que j’ai d’être si bien entouré, il faut aller chercher plus loin le soutien dont on a besoin. Je ne pense pas que je pouvais espérer mieux que ce que je vis. Ma mère ne m’a jamais fait faux bond, elle a tout assumé avec moi. J’espère être un jour un aussi bon parent qu’elle. »

“Lorsqu’on change de sexe, on ne devient pas quelqu’un d’autre”

Sophie Boulon, médecin psychiatre qui a accompagné Mélanie et Lucas

« La première urgence et la première difficulté, pour les personnes en demande de transition, jeunes ou moins jeunes, c’est de prendre le temps. Non seulement pour elles – souvent, lorsqu’elles consultent, elles savent déjà assez clairement ce qu’elles veulent –, mais pour permettre à leur entourage de se préparer. Pour celui qui la vit, la transition est déjà suffisamment difficile ; s’il peut éviter de devoir affronter, en plus, une rupture familiale… Lorsque nous accompagnons des familles, nous savons que les parents peuvent être capables d’accepter l’idée intellectuellement et pourtant avoir du mal à se confronter à la réalité de la personne qu’ils aiment. Ça demande un certain temps d’apprivoisement, en particulier pour qu’ils réalisent que, lorsqu’on change de sexe, on ne devient pas quelqu’un d’autre, et que la personne qu’ils connaissent et qu’ils aiment n’a pas disparu. Les parents ne doivent pas se sentir obligés d’accompagner concrètement leur enfant dans son parcours de transition ; ce dont il a le plus besoin, c’est de sentir qu’ils continuent à l’aimer, même s’ils ne comprennent pas tout de suite tout ce qui lui arrive. C’est pour ça que le temps est tellement important, pour chacun. L’autre point indispensable est de se faire accompagner par des professionnels, en commençant par un psychiatre, qui connaissent le sujet, et qui sont à l’aise avec ces problématiques. »

 

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