Par MARIE-ÈVE LAMBERT
Jusqu’à ce que je tombe sur l’un des Cahiers de recherche sociologique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Présenté par le sociologue Marcelo Otero, professeur au Département de sociologie, Nouveau malaise dans la civilisation : regards sociologiques sur la santé mentale, la souffrance psychique et la psychologisation amenait une réflexion intéressante et tout à propos.
Parle-t-on trop de santé mentale ? C’est du moins ce que croit M. Otero. « On assiste à une “psychologisation” croissante de différents phénomènes et épisodes de la vie des sujets (enfance, adolescence, amitié, sexualité, divorce, travail, politique, chômage, loisirs, vieillesse, maladie, mort, bonheur, etc.) », écrit-il dans sa présentation.
Il va plus loin, parlant d’un « mouvement de prévention-promotion-proaction en matière de santé mentale » ayant pour objectif « la quête de la santé parfaite, la gestion des risques sanitaires et le surinvestissement du rapport au corps ». On constate déjà cette tendance depuis plusieurs années au niveau de la santé physique, l’obsession a maintenant gagné le domaine du mental. Il ne s’agit plus juste de faire la prévention du suicide ; il faut faire la promotion du bonheur.
Mais tout cela a un prix. Fort à payer, d’ailleurs. Car dans notre monde contemporain, les attentes sont irréalistes, affirme Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec. « Les idéaux sont beaucoup trop élevés. Il faudrait avoir une carrière parfaite, être un parent parfait, un conjoint parfait, avoir une vie sociale parfaite… », énumère-t-elle. Et un sourire parfait, a-t-on envie d’ajouter.
« Il n’est pas étonnant dans ce contexte d’avoir l’impression de ne pas arriver à tout faire, de ne pas être là pour nos enfants, notre couple, de développer des problèmes d’estime de soi, de l’épuisement, un certain désengagement, et de constater une hausse remarquable de cas de dépression et de troubles anxieux », enchaîne Mme Grou.
Trop, c’est trop !
Ce qui déstabilise le plus la présidente de l’Ordre des psychologues, c’est que les gens abordent trop souvent une thérapie — médicamenteuse et/ou psy — en disant « rendez-moi performant pour répondre aux exigences » plutôt que de se questionner sur le réalisme des objectifs à atteindre.
Otero, lui, exprime que la société est « un lieu où se manifestent certaines injonctions sociales indiquant aux sujets ce qu’on attend d’eux ». Mais que c’est aussi « un lieu où ceux-ci [les sujets] témoignent de la résistance, de l’inconfort ou de l’incompréhension vis-à-vis de ces injonctions par des symptômes, la souffrance ou le “passage à l’acte”. »
Visiblement, il y a un message clair à comprendre : trop, c’est trop. Et les jeunes le crient aussi.
Les statistiques sont saisissantes : près de 20 % d’entre eux, soit un jeune sur cinq, sont aux prises avec un problème de santé mentale, le plus fréquent étant un trouble anxieux (6 %). L’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM) signale en outre que le suicide représente la première cause de décès non accidentelle chez les jeunes Canadiens : 5 % d’entre eux ont tenté de se suicider dans la dernière année et 12 % y avaient sérieusement songé.
Radio-Canada révélait par ailleurs, en avril dernier, que selon des données obtenues auprès de la Régie de l’assurance maladie du Québec, le nombre de jeunes de 6 à 20 ans qui ont reçu une prescription d’antidépresseurs avait augmenté de près de 50 % en quatre ans !
Réviser ses exigences
S’il est difficile d’identifier la ou les causes précises de cette explosion de troubles de santé mentale, plusieurs variables ayant changé en même temps — « l’éclatement des familles, les technologies, les réseaux sociaux, l’hyperstimulation, on diagnostique mieux », cite entre autres Christine Grou —, les parents semblent être une des clés du problème. « Il faut recadrer notre façon de voir les choses. Il faut comme parent réviser nos propres exigences pour que l’enfant sente qu’il n’a pas à être parfait, qu’il n’a pas à performer à tout coup », suggère la présidente de l’Ordre.
« Il faut aussi se rendre disponible, octroyer à l’enfant un temps d’écoute pour entendre ses préoccupations, et ne surtout pas dire que ce n’est pas important, qu’il ne faut pas qu’il s’en fasse avec ça, ajoute-t-elle. C’est bien aussi de valoriser les sphères qui vont bien. Il n’y a pas pire drame pour un enfant que de sentir qu’il déçoit ses parents. »
Le premier isolant contre l’anxiété et la dépression, c’est le parent. Mais le premier « agent potentialisateur », c’est aussi le parent, affirme-t-elle encore.
Prenons donc soin de nous pour pouvoir prendre soin d’eux. En particulier nous, les mamans, qui avons tendance à vouloir porter le monde sur nos épaules.