Les dérives du coaching


Coaching en entreprise : management d'équipe ou psychothérapie déguisée ?

Le coaching est désormais entré dans les mœurs : pour optimiser ses compétences, son bien-être ou sa vie de couple, de plus en plus de personnes ont recours à un coach. Mais certains, moins scrupuleux que d’autres, peuvent provoquer des dégâts profonds.

Une enquête de Marjolaine Koch, cellule investigation de Radio France

Le coaching est une véritable nébuleuse. Alors que la profession s’est imposée dans le paysage de la formation comme dans les foyers les plus aisés, il n’existe, pour l’heure, aucune définition officielle du coaching. Ni véritablement psychothérapie, ni totalement formation, le coaching se situe à mi-chemin de ces deux autres professions. Chacun a sa propre définition et surtout, sa propre méthode pour vous accompagner.

Cinq cents euros pour une heure de coaching

Nombreux sont les managers, jeunes ou expérimentés, à avoir été coachés à un moment de leur carrière. Il y aurait 4 600 coachs en exercice. Selon l’ICF, le marché mondial s’élevait à 1,1 milliard d’euros pour l’année 2015. En France, la Société française de coaching estime le marché du coaching professionnel à 105 millions d’euros. Ces données comprennent uniquement le coaching en entreprise : il n’existe aucune estimation pour le marché des particuliers.

La séance de coaching en entreprise est facturée en moyenne 500 euros de l’heure, selon l’ICF. Pour une série de séances, il existe des forfaits compris entre 7 000 et 10 000 euros. S’il s’agit d’un coaching de groupe, le prix moyen est de 2 500 euros la journée.

Des coachs plébiscités, des dérives avérées

Le marché du développement personnel voit fleurir toutes sortes de coachs, qui pratiquent à la manière d’un thérapeute ou bien, plus rarement, en groupe et à grande échelle.

C’est le cas de David Laroche, un Français de 29 ans, qui s’est bâti une solide réputation sur les réseaux sociaux. Suivi par plus de 360 000 abonnés sur sa chaîne Youtube, il propose du coaching en entreprise, individuel, à l’international, mais aussi des séminaires de coaching. Reprenant les ficelles des grandes stars américaines du coaching comme Tony Robbins, ce jeune homme, qui s’est formé sur le tas, peut réunir un millier de personnes pour leur donner des « clés » pour réussir sa vie.

Durant ces séminaires, il fait monter sur scène quelques participants qui vont dévoiler devant la salle des pans de leur intimité. « Je me suis retrouvée sur scène, et on est arrivé sur le fait que dans mon enfance, j’ai été violée, raconte Eva, qui voulait au départ comprendre pourquoi elle ne parvenait pas à lancer son entreprise. À partir de là, je n’ai pas de souvenirs précis du coaching mais je me suis retrouvée face à un groupe de personnes où j’étais exposée, je n’avais plus le choix. La synergie du groupe m’a vraiment transportée au-delà de mes limites, parce que je ne suis pas sûre que toute seule j’aurais pu réussir. Ça a été un moment très puissant. »

Ces stages ont un coût : 2 500 euros les cinq jours pour celui auquel a assisté Eva. Il y avait, selon David Laroche, entre 170 et 200 participants, soit un chiffre d’affaires d’environ 400 000 euros. Environ, car des options « VIP » peuvent alourdir la note : des suppléments sont proposés pour avoir des accès prioritaires et des moments de coaching supplémentaires avec David Laroche. Il existe également le « pack Titanium », d’un coût supérieur à 17 000 euros, pour assister à une série de séminaires durant deux années.

« J’ai l’impression qu’on est en train de la conditionner »

Un investissement financier lourd, mais moral aussi, qui peut inquiéter certains proches.

Un témoin a vu sa compagne conquise par David Laroche. Pour le suivre, elle a opté pour le pack Titanium. « C’est un véritable investissement puisque le pack coûte presque 20 000 euros, explique ce témoin. Et cette somme ne comprend ni les frais de déplacement, ni l’hébergement. Petit à petit, j’ai l’impression qu’un décalage se crée, on la sent moins présente, elle se désinvestit aussi son travail. » En-dehors de ces stages, sa compagne passe beaucoup de temps sur des forums en ligne avec les autres participants. « C’est un cercle très fermé qui peu à peu, la coupe de ses proches, poursuit-il. Ses repères sont en train de changer. Elle s’est investie dans ces stages car elle était en quête d’authenticité, moi j’ai l’impression qu’on est en train de la conditionner. »

10 à 20 % des signalements pour dérive sectaire concernent le coaching

Ce proche, inquiet, s’est manifesté auprès de la Miviludes, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Mais il n’est pas le seul : en cinq ans, 27 signalements ont été recensés au sujet de David Laroche.

Un signalement n’est pas une procédure et peut ne déboucher sur aucune condamnation. Cependant, la Miviludes voit monter le nombre de signalements concernant les coachs de manière inquiétante. « Environ 10 à 20 % des 2 500 signalements que nous recevons par an concernent cet objet mal identifié qu’est le coaching et les coachs, note Serge Blisko, président de la Miviludes. Il n’y a pas de définition du coaching, pas de formation validée pour être coach, nous nous posons beaucoup de questions car nous avons l’impression que derrière ce mot se cachent beaucoup de personnes qui ne sont pas très sérieuses ni très bienveillantes. »

La Scientologie infiltre le coaching

Le coaching peut servir de prétexte à des mouvements considérés comme sectaires, comme la Scientologie, pour s’infiltrer au sein d’organisations.

Des salariés d’une entreprise de BTP des Yvelines ont pu constater que le coaching était une excellente porte d’entrée pour s’immiscer dans sa gestion et en soutirer un maximum d’argent. Le patron, devenu scientologue, a proposé à trois coachs, eux-mêmes scientologues, d’intervenir pour améliorer le chiffre d’affaires de sa société. Selon l’un des anciens cadres, un coach était affilié aux finances et a fini par devenir le directeur financier, un autre coach était en charge du commercial, le dernier ayant pris en main le management. Entre des exercices loufoques, des lectures du grand gourou Ron Hubbard et des injonctions à ne plus communiquer autrement que par écrit, les salariés ont vu aussi leur organigramme bouleversé pour devenir l’exacte réplique de celui de la Scientologie.

En quelques mois, le chiffre d’affaires s’est effondré et cette société a été mise en redressement judiciaire. Elle ne compte plus qu’une trentaine de salariés, contre une centaine auparavant. A ce jour, douze salariés ont porté plainte pour harcèlement moral, abus de faiblesse et infractions financières (l’instruction est toujours en cours). Une instruction si longue que les ex-salariés, qui ont remonté une nouvelle entreprise de BTP, ont eu la surprise d’être démarchés par l’un des coachs scientologues… Certains anciens salariés, agacés par la lenteur de la procédure judiciaire, craignent de voir de nouvelles entreprises tomber dans le panneau. De leur côté, les coachs n’ont pas souhaité donner leur version de cette affaire.

De faibles tentatives d’encadrement

Dans cette jungle du coaching, il existe cependant quelques tentatives pour faire le ménage.

Depuis 2016, la Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP) reconnaît officiellement le titre de coach professionnel. Sous l’impulsion des associations de coaching ICF et EMCC France, la CNCP a intégré des organismes de formation dans son registre. Tous les organismes référencés sont privés ; pour l’heure, aucune université n’enseigne le coaching. Il faut noter qu’à l’occasion de cette avancée, les fédérations se sont placées auprès de la CNCP comme garantes de l’autorégulation de la profession.

Au niveau national, depuis la mi-2017, toute formation et tout coach souhaitant être éligible aux fonds de financement de la formation doivent être référencés. Une base de données, Datadock, est censée assurer un « contrôle qualité » en demandant à tout nouvel inscrit de répondre à 21 critères. Mais certains estiment que cette base ne fonctionne pas vraiment. « Des tas d’organismes qui vendent des formations à l’ésotérisme, à des techniques complètement irrationnelles comme la numérologie ou l’astrologie, vont être référencées,constate Jean-François Amadieu, sociologue spécialiste des relations au travail, auteur de DRH : le livre noir(Seuil). On n’a pas réussi à résoudre le problème. On est passé d’un système de contrôle purement administratif à un système où on va demander des critères stupides comme ‘Est-ce que vous faites une évaluation à la fin de la formation ?’ ou ‘Y a-t-il des chaises dans le couloir ?’. Les critères de qualité sont des critères absurdes et dans le domaine de la formation, il n’y a personne pour vérifier que les contenus délivrés tiennent la route » déplore le sociologue.

Un manque crucial, qui permet à de nombreux coachs de s’appuyer sur des méthodes non éprouvées scientifiquement. « On est en présence, d’une certaine manière, de ce qu’on a connu il y a un certain nombre d’années en psychologie par exemple, poursuit Jean-François Amadieu. Des gens ont une pratique mais elle repose sur quelque chose de nébuleux, il n’y a pas de formation publique, on ne vérifie pas les compétences des gens. C’est la porte ouverte à beaucoup de coachs qui ne sont, par conséquent, pas sérieux. »

Aucun projet de règlementation prévu

Les trois associations de coaching présentes en France tentent pourtant de mettre un peu d’ordre dans tout cela. L’International coach fédération, la Société française de coaching et l’EMCC France ont toutes développé des certifications pour s’assurer du professionnalisme de leurs coachs adhérents. Cette certification, qui consiste en un nombre d’heures de formation et un nombre d’heures de pratique professionnelle, ainsi qu’en des vérifications concrètes de maîtrise de compétences spécifiques, n’est pourtant délivrée qu’à un nombre très restreint de coachs. L’ICF, qui est pourtant la plus grosse association française, recense 439 coachs certifiés dans ses rangs.

Pour le sociologue Jean-François Amadieu, cette certification fait l’objet d’un biais évident. « Il ne s’agit pas d’une discipline académique. Là, il s’agit de professionnels qui se délivrent des labels entre-eux. Tout cela n’offre strictement aucune garantie. »

Malgré tout, ces associations redoublent d’efforts. Elles ont également mis au point une charte de déontologie, révisée tous les trois ans, pour moraliser la profession. Mais ces mesures restent cosmétiques face au danger que peut représenter un coach mal intentionné, pour l’entreprise comme pour la personne qui y a recours. À ce jour, les pouvoirs publics sont restés muets sur le sujet : aucun projet de réglementation, même a minima, de la profession, n’est à l’ordre du jour.

 

Franceinter

 

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