Par Antoine Laurent
Aujourd’hui, la dépression est la première cause d’invalidité au travail selon l’Organisation mondiale de la Santé.
» Et toi, ton cancer ? Tu la commences quand cette chimiothérapie ? » Imaginez que vous posiez cette question, assez brutale, à l’un(e) de vos collègues de bureau en face de la machine à café. Improbable qu’il/elle accepte de vous répondre, pensez-vous. Et pourtant. 49% des Français affirment que s’ils étaient touchés par un tel fléau, ils seraient probablement capables d’en parler à leurs collègues, selon une enquête commandée par le laboratoire danois Lundbeck et publiée en juin 2018 par l’institut Odoxa. Par contre, si vous tentez d’aborder la question de la dépression… Seulement 25% d’entre eux seront susceptibles d’échanger sur le sujet. Quasiment moitié moins. » Il existe un tabou, lié à un sentiment de culpabilité du malade qui vit un épisode dépressif » explique Raphael Gaillard, psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne de Paris.
Une maladie encore mal comprise
» Pendant longtemps, la dépression a été associée à un état de faiblesse psychologique » continue le psychiatre. La dépression est pourtant bel et bien une maladie reconnue au sens médical du terme, comme le souligne une définition donnée par l’Inserm(Institut national de la santé et de la recherche médicale). Une maladie qui par conséquent, se soigne. L’institut estime qu’actuellement, les traitements par antidépresseurs et/ou psychothérapies permettent une guérison dans 67 % des cas.
Aujourd’hui, 76% des français se déclarent être en accord avec la définition d’une « maladie nécessitant un accompagnement médical et psychologique » lorsque l’on leur demande de définir la dépression. 23 % continuent cependant de penser qu’il s’agit d’un « état d’esprit pessimiste » dont on « pourrait se sortir avec de la volonté » selon l’étude d’Odoxa. Pour Raphael Gaillard, cette meilleure reconnaissance de maladie résonne comme une prise de conscience par rapport à quelques années en arrière. « L’un des points négatifs, par contre, c’est que beaucoup croient aussi que cette maladie laisse des séquelles irréversibles. » note-t-il. 51 % des sondés affirment en effet qu’une telle maladie laisse forcément des cicatrices, contre 49 % d’opinion inverse.
Le médecin reconnaît qu’après une période de traitement « durant habituellement 4 à 6 semaines », une période de « consolidation » était nécessaire pour surmonter les risques de rémissions. « Sortir d’une dépression, c’est comme guérir d’une fracture à la jambe » illustre-t-il. « Tout comme les patients traités pour dépression, les victimes de fracture ne sont pas capables de recouvrir l’ensemble de leurs moyens en seulement quelques semaines, et de courir un marathon par exemple ».
Craintes pour la carrière des malades
Bien souvent, la maladie est vécue comme une honte par leurs porteurs. « Nous sommes dans une société où l’injonction au bonheur est extrêmement forte » décrit Raphael Gaillard. La dépression est alors associée à un handicap, ou une défaillance qu’il conviendrait de masquer sur son lieu de travail. « Beaucoup de personnes qui souffrent s’imaginent que si elles admettaient leur dépression, elles seraient alors considérées comme sous performantes dans leur entreprise. »
L’enquête démontre également que face à un responsable RH ou à un supérieur hiérarchique, la difficulté de parler de la maladie est encore plus flagrante. Si 58 % des Français en dépression déclarent qu’ils seraient prêts à en parler avec la médecine du travail, ce taux tombe à 19 % avec le supérieur hiérarchique. Il n’atteint que 17 % en face d’un responsable des ressources humaines. « Les DRH sont souvent démunis face à cette maladie » témoigne Elena Ruiz, ex DRH du groupe Canal +. Elle fait valoir que les responsables ressources humaines n’ont pas accès aux dossiers médicaux des salariés. L’information de la maladie leur remonte la plupart du temps par l’intermédiaire de collègues qui s’en apercevraient à leur contact. « Les malades en dépression viennent rarement nous voir, car elles associent souvent notre rôle à celui du « méchant » qui a le pouvoir de les licencier en cas de faiblesse. »
Pour les malades, l’un des plus grands freins à la délivrance de leur souffrance au travail serait donc de voir leur emploi fragilisé. Et malheureusement, cette crainte ne semble pas tout à fait injustifiée. En 2014, une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) montrait qu’un salarié victime d’une dépression avait moins de chance que les autres de conserver son emploi. En 2010, le taux d’emploi des malades de dépression s’établissait à 82 % des hommes et 86 % des femmes. Pour les hommes et les femmes Ces chiffres atteignaient respectivement 93 % et 92 % des hommes et des femmes non dépressifs.
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