Harcèlement et agressions sexuelles : affaire de pouvoir et de privilèges


Par Jean-Marie Yambayamba

Silhouette d'une jeune femme triste

Photo : iStock

Quelles conclusions tirer des révélations sur des cas d’agressions sexuelles ou de harcèlement qui se multiplient au Canada et aux États-Unis ces derniers temps? Comme le montrent les statistiques dans les deux pays, ces affaires restent souvent cachées et, au tribunal, seul un pourcentage infime est tranché. Si les sanctions du tribunal sont déjà un pas, une révolution contre les dérives sexuelles semble de plus en plus s’imposer.

Pour trouver des repères dans une telle évolution, je me suis entretenu avec les psychologues Jon K. Amundson et Ganz Ferrance qui pratiquent respectivement à Calgary et à Edmonton.

Des chiffres
(selon des données recueillies de 2009 à 2014)

– Les agressions sexuelles font partie des crimes les plus sous-déclarés à la police
– 12 % des agressions sexuelles signalées à la police mènent à un verdict de culpabilité au criminel, soit à peine un cas sur 10.
– 23 % des voies de fait mènent à un verdict de culpabilité, soit le double des cas d’agressions sexuelles
– En cas de déclaration de culpabilité, 56 % des causes d’agressions sexuelles donnent lieu à une peine d’emprisonnement
– En cas de déclaration de culpabilité, 36 % des causes de voies de fait donnent lieu à une peine d’emprisonnement
– 22 agressions sexuelles ont été commises pour chaque tranche de 1000 Canadiens de 15 ans et plus en 2014
– Les victimes sont surtout des femmes, des jeunes, des Autochtones, des sans-abri, des personnes célibataires, des personnes homosexuelles ou bisexuelles, les personnes ayant une moins bonne santé mentale ou ayant vécu la violence pendant l’enfance
– Le plus souvent, les victimes d’agression sexuelle ont déclaré s’être senties en colère ou encore bouleversées, confuses ou frustrées après l’incident

Source : Statistique Canada

Pas seulement des personnalités en vue

Les cas d’agressions sexuelles ou de harcèlement dont les médias parlent souvent sont associés à des personnalités en vue dans leur milieu. Les auteurs peuvent cependant aussi être des gens moins connus.

Le docteur Jon K. Amundson offre des services psychologiques à la clinique Amundson and Associates de Calgary depuis 1981. Il assure avoir traité d’innombrables cas d’agressions et de harcèlement sexuel. Ses patients mettaient en cause des médecins, des psychologues, des travailleurs sociaux, des chiropraticiens, etc.

Ils venaient d’une culture corporative permissive qui tolérait, entre hommes et femmes, des façons de parler et d’interagir que nous considérons comme une culture de harcèlement

Jon Amundson

De son côté, le docteur Ganz Ferrance souligne qu’en plus de 20 ans de pratique au sein du groupe Ferrance, il a pu constater que le harcèlement et les agressions sexuelles sont un problème universel, même si à l’opposé des femmes, les hommes ont tendance à ne pas le prendre au sérieux.

Dr Ganz Ferrance, psychologue, conférencier, auteur et ancien vice-président de l'Association des psychologues de l'Alberta

Dr Ganz Ferrance, psychologue, conférencier, auteur et ancien vice-président de l’Association des psychologues de l’Alberta   Photo : Ganz Ferrance

Je peux vous l’assurer, le problème est partout, même si il n’est pas publicisé de la même manière. Les victimes sont des hommes et des femmes, les agresseurs sont également des hommes et des femmes. Ces situations menacent le sentiment de sécurité, l’estime de soi, les valeurs en milieu de travail et les relations humaines. Et cela peut affecter les gens pour toujours.

Dr Ganz Ferrance

Anomalie considérée normale

Selon le docteur Amundson, à force d’habitude, les agressions sexuelles et le harcèlement font partie de ces actes répréhensibles que des victimes peuvent trouver normaux à force de les subir. « Dans les années 1960, j’ai participé au mouvement de la déségrégation. De nombreux Afro-Américains disaient qu’être discriminé, ou exclu du transport en commun, ou se faire appeler « nègre » n’a rien de grave, tant qu’on a, par exemple, une entreprise qui marche bien. »

Le docteur Jon Amundson, psychologue, membre de la clinique Amundson and Associates de Calgary

Le docteur Jon Amundson, psychologue, membre de la clinique Amundson and Associates de Calgary   Photo : Clnique Amundson and Associates

Les victimes finissent, en effet, par « s’adapter » et s’accommoder à quelque chose de mal, souligne-t-il.

Elles développent des stratégies pour le contourner, par exemple : éviter leur agresseur ou de rester seules avec lui au même endroit. Parfois, elles tenteront même de justifier l’agresseur ou se demander si elles n’avaient pas affiché un comportement déclencheur. « Peut-être que je n’étais pas habillée adéquatement. Peut-être que j’ai donné un signal », diront certaines.

Jon Amundson

Pouvoir et privilèges achètent le silence

La pression des agresseurs, qui s’abritent derrière leurs pouvoirs, leurs privilèges et le respect qu’ils imposent, joue un rôle crucial dans la passivité et l’acceptation du harcèlement et des agression sexuelles.

Qu’a fait Donald Trump quand sept femmes ont affirmé avoir été agressées par lui? Il a dit d’abord : « Je vais les poursuivre », en d’autres mots, il a menacé d’utiliser son pouvoir et son argent pour faire taire ces présumées victimes et faire pression sur elles.

Dr Jon Amundson

Mais il n’y a pas que ce genre de menace, dit le psychologue Amundson: « Regardez Georges H. Bush, quand il lui est arrivé de toucher le derrière de certaines femmes, il se disait sûrement : « J’ai 93 ans et j’ai été président des États-Unis. Personne ne peut croire que je suis un prédateur sexuel, même si je le fais en public, au su et au vu de tout le monde! » »

L’effet du spectateur et pouvoir par affiliation

Les agresseurs sont par ailleurs confortés par ce que les psychologues appellent « l’effet du spectateur ». « C’est comme des dizaines de gens qui passent sur la rue et voient quelqu’un tomber et ne font rien, explique J. Amundson. Et quand il leur est demandé : pourquoi n’avez-vous pas fait quelque chose? La réponse est: « J’ignorais quoi faire, je ne voulais pas commettre des erreurs, ce n’était pas mon problème et je ne voulais pas me mettre dans le trouble ». »

Mais des témoins peuvent aussi se porter à la défense de l’agresseur. Pour Jon Amundson, ces personnes ont acquis un pouvoir et des privilèges « par affiliation » et ils ne veulent pas les perdre.

Ces complices diront, comme Melania Trump au sujet de son mari accusé d’agression sexuelle : « Ce n’est pas l’homme que je connais ». Ils accommoderont le prédateur pour ne pas se faire mal.

Jon Amundson

Selon le docteur Ganz Ferrance, ces gens « tentent de protéger la dignité ou le confort de ceux qui se comportent mal. Ce n’est pas approprié, nous devons le dénoncer. »

La passivité, apparemment normale, est en fait un refus de prendre un risque. « Ce n’est pas parce que la police interdit d’intervenir : l’être humain a tendance à prendre le moins de risque possible et à résister le moins possible », souligne Jon Amundson.

Par ailleurs, certains tentent de se consoler en se rabattant sur la loi et bien peu de gens trouvent le courage d’affronter le tribunal. Selon le psychologue Amundson, c’est une façon de dire que c’est quelqu’un d’autre qui doit s’en occuper.

Un grand nombre de gens n’aiment pas aller au tribunal, car le processus judiciaire est très exigeant, incluant au niveau des preuves. Si quelqu’un dit qu’il n’y avait pas de témoin, personne n’était là, c’est une parole contre l’autre. L’accusé aura tendance à affirmer que la plaignante ou le plaignant ne cherche rien d’autre qu’à détruire sa réputation.

Jon Amundson
Le docteur Jon Amundson, psychologue, membre de la clinique Amundson and Associates de Calgary

Le docteur Jon Amundson, psychologue, membre de la clinique Amundson and Associates de Calgary   Photo : Clnique Amundson and Associates

« En l’absence de témoin, ajoute le docteur Ferrance, il peut être difficile de prouver une agression et ça, c’est une difficulté que la société et le système de justice ont. Mais si un individu affiche un comportement répréhensible d’une façon constante ou si d’autres personnes font la même observation, il y a une certaine légitimité à porter plainte et à pousser la cour à croire la victime présumée »

Passer du silence à la parole

La parole des victimes se fait entendre au moment où une masse critique de vérité atteint un niveau suffisant pour défier le pouvoir et les privilèges des agresseurs, assure Jon Amundson. « Et tout d’un coup les gens disent : « Nous n’allons plus le tolérer, c’est inacceptable ». Tout d’un coup, on réalise qu’on se complaisait avec un comportement honteux. On ne s’en accommode plus. »

C’est un cycle, explique Jon Amundson. À la mi-parcours du tournant, les gens disent : « Ce n’est pas ma faute. Je n’ai pas réalisé que c’était pire! » Ensuite, ils se réveillent pour dire : « Nous aurions dû parler plus tôt. Pourquoi avons-nous toléré ça?

Jon Amundson

En ce sens, l’appel de l’actrice américaine Alyssa Milano avec son mot-clic MeToo (moi aussi) sur Twitter a aidé bien des gens à délier leur langue.

Le psychologue Ganz Ferrance salue cette évolution : « Je me réjouis de voir de plus en plus de gens en parler. Plus spécialement, l’affaire Weinstein et le mot-clic MeToo ont maintenant réveillé la conscience du public. Les gens utilisent les médias sociaux pour évoquer leurs expériences de harcèlement sexuel ou pour demander un changement positif sur cette question. Parfois, il suffit qu’une ou deux personnes se tiennent debout, pour inciter d’autres à s’exprimer à leur tour. »

Dr Ganz Ferrance, psychologue, conférence, auteur et ancien vice-président de l'Association des psychologues de l'Alberta

Dr Ganz Ferrance, psychologue, conférence, auteur et ancien vice-président de l’Association des psychologues de l’Alberta   Photo : Ganz Ferrance

Dénonciateurs et épreuve du temps

Dénoncer ne garantit pas un succès. Jon Amundson cite plusieurs exemples, aux États-Unis.

Anita Hill avait accusé le juge Clarence Thomas de l’avoir harcelée sexuellement. C’était lors de l’audience d’un comité du Sénat qui allait le confirmer à la Cour suprême des États-Unis en 1991. Clarence Thomas avait nié toutes les allégations de Hill, se disant disant victime d’un « lynchage high-tech pour Noir présomptueux ». Anita Hill a eu du mal a se faire croire, elle s’est fait écorcher et traîner dans la boue pendant des années, avant d’être réhabilitée.

Linda Tripp avait aussi dénoncé la relation de Bill Clinton avec Monica Lewinsky, elle a aussi été salie. À défaut de pouvoir poursuivre sa belle carrière à Washington, elle s’est reconvertie dans le commerce de cadeaux dans un petit village de la Virginie.

Ceux qui trouvent le courage de dévoiler quelque chose, souvent ne deviennent héros que plus tard.

Jon Amundson

Une sensibilisation nécessaire

Selon Jon Amundson, une sensibilisation est nécessaire dans nos sociétés pour réaliser que la responsabilité mutuelle est la meilleure conduite, la conduite vertueuse à avoir les uns à l’égard des autres. « Mon bien-être est le tien, ma liberté est connectée à la tienne, mes droits sont reliés aux tiens. C’est pratique. Mais plus nous nous isolons, plus il est difficile de s’en rendre compte. »

Le docteur Ferrance encourage, de son côté, nos sociétés à poursuivre la conversation sur les agressions sexuelles et le harcèlement. « J’espère que le momentum va continuer, car c’est ainsi que les choses changent comme ça a été le cas pour les droits civiques, le droit de vote, la reconnaissance des droits des gais et des lesbiennes ou de la communauté LGBTQ. »

Les deux psychologues croient que leur rôle en est un d’éducation pour aider les gens à se rendre compte quels sont les comportements qui affectent les autres. Ils souhaitent aussi voir le système de justice évoluer vers une meilleure écoute des victimes et de leurs présumés agresseurs. « Tout le monde mérite d’être traité avec respect », insiste Ganz Ferrance.

 

Radio Canada

Jean-Marie Yambayamba avec un carnet

Jean-Marie Yambayamba Photo : Radio-Canada

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