Comment échapper à la tyrannie de nos émotions ?


Si nous accueillons avec plaisir les émotions positives comme la joie, l’amour ou la sérénité, nous avons tendance à refouler la colère, la peur ou l’anxiété… Une erreur selon Ilios Kotsou, chercheur en psychologie positive, qui dans sa récente allocution TEDx, affirme qu’accepter toutes nos émotions sans distinction est la clé vers la liberté. Explications.

Qui parmi nous n’a pas déjà essayé d’échapper à son ombre, de lutter contre un fantôme, un souvenir douloureux du passé, une appréhension quant à l’avenir ou une anxiété dont il ne connaît même pas la cause ? Vous l’aurez certainement remarqué à cette occasion : les ombres et les fantômes courent toujours plus rapidement que nous, il est donc impossible de s’en débarrasser !

Lorsque l’on s’intéresse au sujet, on constate que la lutte et la fuite sont deux réactions déclenchées par notre système d’alarme intérieur face à une émotion négative. Tout au long de l’évolution de l’Homme, ce système d’alarme nous a permis d’échapper aux prédateurs, de réagir aux imprévus de l’environnement… En bref, de survivre. Et cela a très bien fonctionné – puisque nous sommes là aujourd’hui – si bien que nous tentons d’appliquer la même recette aux menaces qui nous semblent venir de l’intérieur : nos propres émotions difficiles. Nous avons peur de notre peur et tentons de la supprimer. Nous sommes en colère contre notre jalousie et faisons tout pour nous en débarrasser. Nous avons honte de notre tristesse et essayons de la cacher.

Quand nos émotions négatives s’invitent sans être conviées

Cela me rappelle ma dernière Fête des voisins. C’est moi qui invitais et j’avais fait passer le mot à tout le voisinage. J’avais mis sur le fronton de ma porte une banderole sur laquelle était inscrit « Bienvenue à tous et à toutes ! ». C’était une très belle soirée et tout allait bien, jusqu’au moment où je me suis rappelé d’Albert. Albert, c’est un peu le mouton noir du quartier. Il vit dans la rue, près du supermarché, et se promène toujours avec son chien plein de puces qui sent aussi mauvais que lui. Il parle très fort, il est agressif et désagréable. Et s’il lui prenait l’envie de venir à ma fête ? Pris de panique, je me lève et vais vers la porte pour décrocher la banderole, mais trop tard, quelqu’un sonne et je devine la silhouette d’Albert à travers la vitre…

Albert, dans cette histoire, ce sont toutes les émotions que nous n’aimons pas. Celles dont nous voulons nous débarrasser : la peur, la colère, la tristesse, la jalousie… Longtemps dans ma vie, j’ai tourné le dos à la porte et fait comme si de rien n’était. Mais est-ce que cela fonctionne à long terme ? Ce jour-là, ce n’est pas une petite peur, c’est une anxiété écrasante : Albert tambourine à la porte, je n’ouvre pas, alors il va rentrer en force ! Pour éviter cela, je vais essayer une deuxième stratégie : le laisser entrer et le surveiller pour qu’il ne sème pas la pagaille dans ma fête. Mais si je passe la soirée à l’empêcher de faire une bêtise, quelle disponibilité me reste-t-il à accorder aux autres invités comme la joie, le contentement, la gratitude ou la gaieté ?

Lutter n’est pas la solution

Lorsque j’avais 16 ans, j’habitais dans le Sud de la France et ma mère en Belgique, où elle se faisait soigner d’un cancer. Je savais que le cancer était une maladie terrible mais je ne me rendais pas compte à quel point cela pouvait aller vite. Une nuit, on me met dans une voiture. On me dit « Ilios, tu dois partir vite. » Douze heures après, en descendant du véhicule, quelqu’un me dit : « Ilios, ta mère vient de mourir. » L’émotion qui m’a pris ce jour-là, comme elle me prend aujourd’hui, a été tellement immense que je n’ai pas pu y faire face. La personne qui en a payé le prix, c’est ma sœur. Elle aurait eu tellement besoin de quelqu’un pour la comprendre, l’écouter et partager sa peine… Mais moi, incapable que j’étais de prendre soin de mes propres sentiments, je n’ai pas pu me rendre disponible pour elle.

J’aime beaucoup la phrase de Maître Eckhart : « Dieu nous rend souvent visite, le seul problème, c’est que nous sommes rarement à la maison. » Ne sommes-nous pas prisonniers de tout ce que nous refusons, de tout ce contre quoi nous luttons ? Le problème, c’est que nous pensons que la lutte est la seule et la meilleure solution, sans nous rendre compte du prix à payer.

Consentir à accueillir nos émotions difficiles

Quelle autre attitude pourrions-nous adopter face à nos émotions négatives ? Si un jour vous êtes pris dans des sables mouvants, votre réaction automatique sera sûrement de lutter. Et alors que vous tenterez désespérément d’extraire un de vos pieds, vous mettrez davantage de pression sur l’autre jambe qui, à son tour, s’enfoncera encore plus rapidement. La meilleure solution, pourtant contre-intuitive, consisterait à s’allonger de tout son long sur le marais pour répartir son poids sur la plus grande surface possible et peut-être éviter de couler. Par rapport à nos propres sentiments, cela revient à consentir à vivre nos émotions difficiles, les apprivoiser pour s’en libérer.

Revenons à mon histoire d’Albert. Ce jour-là, quand il sonne à la porte, je vais ouvrir directement. Je sais que c’est lui. Ce n’est pas la première fois que j’écoute mes sentiments. J’essaye de l’accueillir du mieux que je peux : « Bienvenue Albert, quelle drôle de tête tu as aujourd’hui ! ». Je l’emmène ensuite au buffet, je lui sers une assiette et l’installe confortablement. Bien sûr, cela ne signifie pas que je suis d’accord avec tout ce qu’il raconte, ni même que je doive l’aimer. C’est simplement que le refuser n’est pas une option viable. Lutter contre lui est plus dangereux qu’accepter. Alors une fois que j’en ai pris soin, je suis disponible pour les autres invités : la joie, la gratitude, le contentement… Notre part de liberté réside dans notre capacité à prendre soin de tous nos invités. Même – et surtout – ceux qui sont désagréables et que nous n’avons pas conviés.

Lutter contre nos émotions ne fonctionne pas. Mais le pire, c’est que lorsque nous sommes habitués à lutter et à éviter nos sentiments, nous finissons par éviter consciemment ou inconsciemment les contextes et situations dans lesquels ils pourraient se produire. Par exemple, nous n’allons pas nous engager dans un projet important par peur d’échouer. Nous n’irons pas vers quelqu’un qui compte pour nous par peur d’être rejeté. Nous n’ouvrirons pas nos bras à ceux que nous aimons par peur de souffrir. Notre vie devient de plus en plus étriquée, elle se réduit.

Entrer en amitié avec (toutes) nos émotions

Refuser ses sentiments négatifs revient à ignorer notre boussole intérieure. Nos émotions sont comme les deux faces d’une pièce de monnaie, elles sont indissociables. Cette face « sombre » nous renseigne sur ce qui est important pour nous car nous n’avons d’émotion difficile que pour ce qui nous est essentiel. Je suis anxieux pour ma petite fille ou pour un ami car ils comptent pour moi. Être déconnecté à ses sentiments, c’est passer à côté de l’information sur tout ce qui est essentiel dans ma vie et ce dont je doit prendre soin.

Bien sûr, nous aimerions tous avoir une baguette magique qui supprimerait toutes les difficultés de l’existence. Mais nous savons qu’elle n’existe pas. La grande bascule de ma vie est arrivée le jour où j’ai compris qu’il me serait impossible d’être pleinement libre si je restais automatiquement prisonnier de la chose dont je voulais me libérer. Que la désobéissance la plus importante pour ma liberté, c’était la désobéissance par rapport à mes propres peurs et conditionnements. Si je suis timide et que j’attends d’être libre de ma timidité avant d’aller vers les autres, je peux attendre très longtemps sans certitude que ce jour arrive. N’est-il pas plus réaliste d’apprendre à vivre avec ma timidité ? Ce jour-là, je pourrai la prendre sous un bras, ma peur sous l’autre, et avec elles deux, cheminer vers ce qui est important dans ma vie.

Cette forme de liberté a un prix, elle nécessite d’entrer en amitié avec toutes nos émotions, même les plus difficiles. Cela s’appelle le courage. Du courage, il m’en a fallu longtemps après la mort de mes parents pour retourner sur le pas de ma porte intérieure et faire face à toutes les émotions qui s’y trouvaient. Et il m’a fallu du temps aussi pour les apprivoiser, pas à pas, comme le Petit Prince avec son renard. Et cette perte, qui était comme un fantôme que je voulais éloigner de moi, s’est transformée en une fleur de mon jardin intérieur. Une fleur que j’arrose parfois de quelques larmes et qui me connecte à notre commune humanité.

De la peur naît le courage

La bonne nouvelle, pour celles et ceux qui, comme moi, connaissent la peur, c’est que ce sont les seuls qui peuvent se montrer courageux. Petite peur, petit courage. Grande peur, grand courage. Pas de peur, pas de courage. La peur n’est donc pas le problème, en réalité, c’est la peur de la peur qui nous paralyse. Lorsque j’apprends à vivre avec tous les invités de ma fête des voisins intérieure, je ne suis plus conditionné à réagir de manière automatique et souvent inappropriée aux circonstances et émotions difficiles de la vie. Mais je peux répondre de manière libre et intelligente à la situation telle qu’elle se présente.

 

Affronter sa peur, c’est comme affronter un ouragan. Les vents tourbillonnants d’un ouragan vont à plus de 300km/h mais paradoxalement, l’endroit le plus calme se trouve au centre même de la tornade. Mais y aller demande du courage : celui de cesser de fuir, de faire face à nos ombres et fantômes pour nous installer au cœur de l’expérience. Là, dans l’œil du cyclone, les vents sont apaisés, il y règne un calme d’une étonnante beauté. Et c’est ici même que nous pouvons découvrir que le cadeau de la peur, c’est la tendresse. Une infinie tendresse pour la vie.

 

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