De la notion de cause en sociologie


Mains qui se dessinent Crédits : Maurits Cornelis Escher

D’où provient telle chose ? Quelle est la cause de ceci ? De cela ? Comment pareil événement a-t-il pu se produire ? À chaque fois que l’on tente de répondre à ce type de questions, se met en place un chemin vers l’abîme…

Comme l’alpinisme, la causalité est une affaire de vertige surmonté. En l’occurrence, celui qui nous saisit dès que nous tentons d’appréhender son rôle dans la nature ou dans la société. Car invoquer la causalité, c’est ipso facto convoquer l’infini, à cause de la régression interminable qu’elle implique : si tout a une cause, alors toute cause a une cause qui a elle-même une cause, etc. ; etc., etc…

Ainsi, La Colombe de l’arche, ce poème de Robert Desnos, eût pu être beaucoup plus long que ces quelques lignes :

Maudit soit le père de l’épouse du forgeron

qui forgea le fer de la cognée

avec laquelle le bûcheron abattit le chêne

dans lequel on sculpta le lit

où fut engendré l’arrière-grand-père

de l’homme qui conduisit la voiture

dans laquelle ta mère rencontra ton père.

D’où provient telle chose ? Quelle est la cause de ceci ? De cela ? Comment pareil événement a-t-il pu se produire ? À chaque fois que l’on tente de répondre à ce type de questions, se met en place un chemin vers l’abîme. Car on ne peut saisir une origine, raconter une apparition, expliquer un événement qu’en accrétant au processus en question sa propre antériorité. Quelque cuisse de Jupiter qu’on mette en avant, quelque point de départ qu’on choisisse, ils apparaissent comme n’étant pas d’authentiques causes puisqu’ils demandent à être eux-mêmes fondés, en une sorte de régression du conditionné à sa condition. À chaque nouveau pas, il faut donc invoquer une nouvelle cuisse de Jupiter, puis une autre, et ainsi de suite, sans jamais mettre la main sur la cuisse originelle, la matrice initiale de toutes les cuisses ultérieures.

Mais en général, afin de ne pas se perdre dans trop de dédales, on se contente de résumer le principe de causalité en répétant que « tout événement a une cause qui lui est nécessairement antérieure ». Sans voir que, sous ses airs badins, cette présentation est loin de clore l’affaire. Elle pose même d’épineux problèmes philosophiques en contrepoint de ceux soulevés par l’idée de hasard : hasard et causalité sont en effet corrélés au sens où le premier se déploie dans l’ombre de l’autre. Invoquer le hasard, c’est presque toujours admettre qu’il y a une difficulté à identifier une explication causale. Le hasard correspond en quelque sorte au purgatoire de la causalité.

La sociologie est une science, une science humaine, la science de l’humain en société. Nous l’avons trop rarement traitée dans notre Conversation scientifique et il nous faut rattraper ce retard. Cette science a l’ambition de comprendre ou d’expliquer ce qui se passe dans une société donnée, ou dans un groupe particulier : les phénomènes sociaux, les trajectoires des individus, les phénomènes collectifs, la logique des conflits, les manifestations de la violence, les processus de radicalisation, pour ne citer que quelques exemples de ses sujets.

Pour les traiter, a-t-elle besoin de l’idée de cause, ou bien peut-elle s’en passer en ne s’appuyant que sur la mise en évidence de relations, de corrélations, d’interactions entre les membres d’un groupe au sein de la société ?

Notre invité : Michel Wieviorka , sociologue, Président de la Fondation Maison des Sciences de l’homme.

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