C’est le jour où mon amie est morte que j’ai compris ce qu’était la manipulation


Par Natacha Calestrémé

Elle était belle, gaie, sensible, drôle. Et puis un jour elle a commencé à se renfermer sur elle-même, à trembler avant de faner puis de s’éteindre.

Elle était belle, gaie, sensible, drôle. Et puis un jour elle a commencé à se renfermer sur elle-même, lentement, insidieusement, à s’assombrir, à trembler avant de faner puis de s’éteindre. Elle était une personne très proche de moi et je n’ai pas pu l’aider. Malgré les questions pour essayer de guérir sa détresse, malgré les mots pour lui redonner de l’énergie ou tenter de la raisonner, malgré la certitude qu’il est impossible, de nos jours, de mourir d’épuisement. Et pourtant, elle est morte. Son corps fatigué par tant de stress a lâché. Il était trop tard pour l’aider. Culpabilité immense. Le temps était venu d’essayer de comprendre. Plus qu’un devoir de mémoire, c’est devenu une mission. Etait-elle faible, mythomane, masochiste, avait-elle peur de lui? Pourquoi ne l’a-t-elle pas quitté à temps s’il était si terrible?

Je suis journaliste, c’est une chance. J’ai lu des livres de psychologie, de psychiatrie. Un an de travail acharné pour éliminer les doutes, un à un. Les symptômes portaient désormais un nom : elle avait subi l’emprise d’un pervers narcissique, un harcèlement conjugal. La perversion est un mot employé à toutes les sauces. Il suffit que quelqu’un nous fasse du mal pour qu’il se voie affubler du qualificatif. On peut néanmoins utiliser ce terme à juste titre lorsque la personne essaie de détruire l’autre en une stratégie – inconsciente – déclinée en plusieurs étapes. Au début il a été gentil. Formidable même. S’il était un monstre dés le départ, on se méfierait. Mais il va changer et faire émerger sa vraie nature. La victime n’aura de cesse de se rattacher à ce minuscule paradis des moments heureux pour tout pardonner. Il va souffler le chaud et le froid, garder le silence et éviter de répondre aux questions pour placer l’autre dans l’inconfort et le stress de mal faire. L’isoler en critiquant sa famille et ses amis. Une nouvelle étape survient lorsqu’il la prive de son autonomie financière, en lui refusant de l’argent ou en lui demandant d’arrêter son travail. Viennent les humiliations sous couvert de compliments : Cette jupe est jolie, dommage que tu as grossi. Ensuite les injonctions paradoxales: Arrête de bosser, tu es trop fatiguée et puis bouge toi, tu es molle. Deux notions opposées dans une même phrase. On ne sait plus comment réagir. Ce lavage de cerveau la plonge dans une sorte de léthargie, une impuissance. Elle est convaincue d’être nulle, incapable d’y arriver sans lui. S’il sent qu’il est allé trop loin, il s’excuse, pleure, évoque un suicide si elle le quitte. Cela ne dure pas. La perversion atteint un sommet lorsqu’il s’attaque à sa santé en l’empêchant de dormir. Elle devient l’ombre d’elle-même, ne se reconnaît plus. Face à ce qu’elle prend pour des angoisses irrationnelles, le corps médical n’a malheureusement qu’une réponse : les anxiolytiques. Cela va-t-il lui permettre de quitter son bourreau? Heureusement psychiatres, psychologues et associations sont là pour aider à avancer en mettant des mots sur l’impensable, à condition que la personne soit encore capable de solliciter une aide.

Certaines questions restent pourtant sans réponse. Pourquoi la personne n’arrive pas à partir? Lorsqu’elle s’en va pourquoi revient-elle? Et si elle arrive définitivement à s’enfuir, pourquoi sa vie sentimentale reste chaotique? C’est en essayant de trouver un point commun entre les mots des psychiatres et ceux des thérapies alternatives qu’une idée a fait jour. Lorsqu’on se blesse durement, le corps secrète aussitôt des endorphines pour éviter que l’on souffre et que le cœur s’arrête de douleur. Dans le cas de violences psychiques, le corps réagit à l’identique. Il protège le mental. On connaît tous l’expression de ceux qui ont vécu les horreurs d’un viol ou de la guerre : « Ici, j’ai perdu une partie de mon âme ». Face à la violence de ce harcèlement, une partie de notre âme s’extrait pour éviter de sombrer dans la folie. Ce que les psys appellent la sidération, la fuite mentale. On devient un observateur extérieur de la situation que l’on vit sans pouvoir réagir et l’entourage s’insurge de cette passivité. On se souvient de cette fillette de onze ans, violée et qui, faute d’avoir réagi, a été considérée comme consentante. Elle était en état de sidération car cet homme lui a fait vivre quelque chose d’inenvisageable. L’âme véhicule notre énergie, notre estime de soi, notre confiance, notre système de pensée. Le bourreau nous a pris une partie de tout ça. Et cela explique pourquoi la victime ne part pas. Elle ne veut pas abandonner une partie d’elle. Cela fait sens pour tous ceux qui se sont sentis « vidés » après un contact avec une personne destructrice.

Poser des mots sur ce fléau invisible de notre société sous la forme d’un roman était une évidence. Parce que, bien souvent la personne sous emprise, l’ignore. Par ailleurs, une histoire qui n’est pas la nôtre permet de faire disparaître les résistances, le déni, que tous les psys constatent en thérapie. Ensuite, il est impossible de ramener chez soi un manuel « Comment sortir de l’emprise », alors qu’un polar, il peut rester sur la table de chevet. Les blessures du silence est né de cette envie de réparer. L’autre a quelque chose de subtil, qui nous appartient et qu’il est indispensable de récupérer pour envisager un départ serein, ou se reconstruire. Je repense à elle. A travers les nombreux témoignages d’espoir et de remerciements que je reçois chaque jour des lecteurs, elle reprend toute son envergure, sa force et son pouvoir. Elle est beaucoup plus grande qu’avant. Elle couvre le ciel de ses bras grands ouverts.

Natacha Calestrémé vient de publier Les blessures du silence aux éditions Albin Michel (avril 2018)

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