L’échangisme, un désir de femmes ?


Par Laurent Clay

L'échangisme, un désir de femmes ?

Loin des images de partouzes dans de glauques lupanars, les pratiques échangistes semblent évoluer. Il existe plus de quatre cents clubs en France où des couples viennent s’encanailler. Mais qui décide d’y aller ? L’homme, le plus souvent. Le plaisir à plusieurs serait-il une nouvelle expression de la domination masculine ? Pas si sûr…

L’échangisme ne connaît pas la crise ! Depuis une quinzaine d’années, cette pratique ne cesserait d’augmenter. « Selon nos études, on compte aujourd’hui, en France, quatre cent mille couples réguliers et six cent mille couples occasionnels. Sans oublier l’existence de quatre cents clubs. C’est considérable ! » s’exclame Christophe Soret, de Netechangisme.com, le plus gros site consacré à la chose. Pourtant, dans l’esprit des non-libertins, à la fois fascinés et un peu rebutés, l’échangisme reste associé à des images de sexualité outrancière, où le désir des mâles mènerait la danse.

L’affaire DSK a redonné une réputation sulfureuse à ces pratiques de l’ombre. Il s’en est dégagé l’image de libertins machos et peu respectueux des femmes, exerçant une vraie « domination masculine ». Au-delà du cas très particulier de Dominique Strauss-Kahn – même relancé par l’épisode Marcela Iacub (qui a publié Belle et Bête (Stock), l’histoire romancée de sa liaison avec l’ancien directeur du FMI) -, qu’en est-il réellement ? L’échangisme est-il fondamentalement un désir masculin, ou bien est-il autant partagé par les femmes que par les hommes ?

À première vue, cette pratique semble en effet être plus un « truc de mecs » : elle leur permettrait d’exprimer, de façon même symbolique, une domination sur les femmes. Ainsi, les hommes sont souvent, de leur propre aveu, dans le fantasme de posséder un corps inconnu, de « dominer » une femme offerte à plusieurs hommes, d’ailleurs proche de celui d’user d’une prostituée, femme-objet que l’on prend à loisir. « J’ai parfaitement conscience de l’aspect un peu sadomaso de mes fantasmes, concède Édouard, 47 ans. Il y a une idée de rabaissement qui m’excite. Je ne trouve pas ça très glorieux, je ne me conduis jamais en macho dans la vie courante. Mais c’est un jeu. »

Des stéréotypes persistants

« Quand mon conjoint m’a proposé d’aller en boîte échangiste, j’étais interloquée », assure Marie, 32 ans. Une réaction répandue, accréditant l’idée que ce sont plutôt les hommes qui proposent à leurs compagnes de se lancer dans l’aventure. « À la base, cela reste un fantasme masculin », confirme le psychiatre et thérapeute de couple Philippe Brenot. Les hommes expliquent, bien sûr, leur demande par l’influence du porno, par le désir de « ne pas mourir idiot » ou de « pimenter leur couple ».

Doit-on considérer que le désir masculin serait plus intense, voire plus transgressif que celui des femmes ? Pour Philippe Brenot, si les hommes sont attirés par l’échangisme, c’est bien à cause d’une différence de désir entre hommes et femmes. « Il existe une asymétrie sexuelle. Chez l’homme, on constate un “désir réflexe”, d’ordre génital, détaché des sentiments. Chez les femmes, le désir est davantage mêlé à l’affectif. Les féministes diront que c’est un cliché, que c’est le produit de notre histoire. Soit. N’empêche, même si ce sont des stéréotypes, ils existent. » D’après le thérapeute de couple, ces conditionnements culturels ont une grande répercussion sur notre vision de la sexualité. Les hommes pourraient, ainsi pratiquer l’échangisme sans que cela remette en question leur couple. Les femmes, elles, chez qui on présuppose que sexe et sentiments sont davantage mêlés, courraient le risque de s’attacher. « J’ai vu beaucoup de couples se séparer à cause de l’échangisme ! » ajoute Philippe Brenot.

« Je ne crois pas qu’il existe de “nature sexuelle”, réfute la psychanalyste Sophie Cadalen. Si les hommes s’autorisent davantage de fantasmes, c’est tout simplement qu’ils ont été conditionnés, d’un point de vue culturel, à affirmer leurs désirs. D’ailleurs, les choses changent. On peut très bien rencontrer des femmes déchaînées, qui ont une sexualité très active, et des hommes doux et passifs. » Effectivement. Si les hommes donnent encore l’impulsion, les femmes d’aujourd’hui se révèlent beaucoup plus intéressées, curieuses. Surtout dans les jeunes générations.

Elles sont sensibles, comme leur partenaire, à l’ennui dans le couple et aux discours ambiants sur la libération des moeurs. « Contrairement à nos parents, nous avons pris l’habitude de discuter de notre sexualité avec Johan, de nos fantasmes, de nos frustrations, raconte Nadia, 28 ans. Aussi, quand une certaine routine s’est installée dans notre vie sexuelle, nous avons tout naturellement évoqué l’idée d’aller dans un club échangiste… »

Un changement de rituels

L’univers échangiste est également devenu plus attrayant pour les femmes. Internet permet de préparer le terrain, de nouer des contacts. On entre très progressivement dans ce petit monde clos, d’abord en visiteur, en curieux, venant s’échaufer l’esprit. En outre, les boîtes ont évolué : ce sont des lieux à l’érotisme soft, où règnent des rituels stricts, avec des soirées à thème, où l’on danse, où l’on apprend à se connaître, avant de passer, éventuellement, dans un « coin câlin ». Bref, tout cela correspondrait mieux à la sensibilité féminine, ce mélange de « sexualité et d’affect » dont parlait Philippe Brenot.

« Pour moi, confie Marianne, 42 ans, l’échangisme ne se résume pas à coucher avec plusieurs inconnus à la file. L’excitation, c’est un tout. J’aime quand on se donne du plaisir, mais j’ai besoin de préliminaires, d’une certaine ambiance, de discuter avec la personne, de me sentir bien. » Il arrive même parfois que les femmes s’adaptent mieux aux soirées libertines que leur compagnon. « Certains hommes découvrent que le passage du fantasme à la réalité est dur à vivre et qu’ils n’arrivent pas à assurer, alors que leur compagne y trouve une jouissance inattendue, ce qui les rend fous de jalousie… » dit en souriant Pierre-Arnaud Jonard, journaliste et libertin, auteur de Parties(Hachette)…

Certaines femmes sont aussi attirées par l’échangisme parce que l’idée d’être une femme-objet les fascine. « Le fantasme est autant féminin que masculin », note Philippe Brenot. Ce qui ne fait pas d’elles de pauvres victimes. Agathe, 33 ans, témoigne : « Quand mon mari “m’offre” à d’autres, quand il me regarde être prise par plusieurs partenaires, on pourrait dire que je subis une domination masculine. Mais nous jouons ! J’aime faire ma chienne, être un objet. Et je redeviens sujet l’instant d’après. » Selon Sophie Cadalen, nous sommes là au cœur même de la sexualité humaine où, « en permanence, nous passons de sujet à objet. C’est comme dans un lit : quand deux personnes font l’amour, il y en a toujours un qui “domine” un peu l’autre. Dirait-on pour autant qu’il l’exploite ? »

Un vrai pouvoir au féminin

Passives, actives, voyeuses, lesbiennes, « gang bangueuses »… Quelles que soient leurs préférences, les femmes échangistes disent avec force qu’elles n’y vont pas pour « faire plaisir » à leur homme ou pour sauver leur couple. Comme le déclare Chloé, 26 ans, « nous ne sommes plus à l’ère du mariage bourgeois, tu n’as plus à “préserver” ton couple. Les femmes quittent leur conjoint autant qu’elles se font quitter, donc personne n’est là pour “faire plaisir”. On est des grandes filles. Si ça ne me plaisait pas, je m’en irais ! » Et son amoureux Nicolas, 29 ans, de constater : « Le sexe fait encore peur, alors les gens se rassurent en pensant que les filles qui vont dans ce type de soirées sont séduites ou forcées… »

Confirmation de Sophie Cadalen : « Juger négativement l’échangisme est bien pratique. Cela permet de nous réconforter dans une vieille répartition des rôles : les hommes ne pensent qu’à ça et les femmes sont victimes de leur concupiscence. » Nous pouvons ainsi nous protéger de nos propres désirs, qui nous effraient.

Enfin, l’échangisme permet à certaines femmes d’expérimenter un vrai pouvoir. En soirées, elles doivent savoir dire non, poser des limites quand elles se retrouvent pressées de sollicitations. Pour Jeanne, 45 ans, l’échangisme a été « une formidable école des femmes. Un lieu égalitaire, où l’on apprend à décider, à dire ce que l’on veut et ce que l’on refuse. Et puis j’ai découvert, émerveillée, qu’il y a des hommes qui ne demandent qu’à être guidés, à faire plaisir, à suivre les instructions » !

L’image de pauvres femmes manipulées s’effondre : l’échangisme serait au contraire un lieu où certaines feraient, comme dans le reste de la société, l’expérience de l’affirmation de leur force, de leur autonomie. « Aujourd’hui, avec l’évolution des mœurs, les femmes sont les reines en soirées échangistes ! Jamais on ne verra un geste déplacé à leur égard », confirme Édouard. L’échangisme, un désir masculin ? Il semble en tout cas devenir le lieu d’une domination féminine croissante…

« La première fois, je n’ai pas du tout apprécié »

Laurence, universitaire, 38 ans, en couple depuis 12 ans, échangiste depuis 8 ans.

« C’est mon compagnon qui me l’a proposé. Au début, j’étais inquiète, je croyais qu’il ne voulait plus de moi. Il m’a longuement rassurée. Notre vie sexuelle tournait alors au ralenti, et je dois avouer que son idée a réveillé en moi de vieux fantasmes, comme celui d’être prise par plusieurs hommes.

La première fois, nous sommes allés dans une boîte parisienne connue, à l’ancienne. Des dizaines de mains se sont posées sur moi. On trouvait là des hommes lourds, qui n’avaient aucun égard pour le plaisir des femmes. Je n’ai pas du tout apprécié. Après, nous avons choisi de nous rendre dans des soirées privées. J’ai l’impression, comme beaucoup d’amis échangistes, que cette pratique nous a rendus plus unis, mon mari et moi. C’est une superbe preuve d’amour que de se réjouir du plaisir de l’autre.

Il n’y a pas, entre nous, de possessivité, de jalousie morbide. Et puis nous ne connaissons pas cette frustration sexuelle qui peut briser certains couples. Aujourd’hui, je ne m’en passerais pour rien au monde ! Quand nous sortons en soirée, nous nous imposons des règles. Toujours rester ensemble pour que l’autre ne se sente pas exclu. Ne pas voir trop souvent les mêmes personnes, car il pourrait se créer un attachement, affectif ou sexuel, pour l’un de nos partenaires. Et faire l’amour, le lendemain, tendrement, chez nous.

L’échangisme est une mise en scène, un terrain d’expérimentations. Mais cela ne doit pas faire oublier celui que l’on aime…»

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