Par Mariel Bluteau
Sans notre cerveau, on ne pourrait pas agir, communiquer, apprendre… vivre, en un mot. Et pourtant nous n’avons commencé à le connaître et à comprendre son fonctionnement que relativement récemment. Ce qui laisse beaucoup de place pour l’imagination. Alors, cette histoire des « 10% d’utilisation du cerveau », est-ce un mythe ou une réalité ?
Le cerveau, un organe bien difficile à étudier
Pendant longtemps, la seule manière d’observer un cerveau est d’ouvrir le crâne… Impossible, donc, d’observer un cerveau en activité sur un patient vivant. On avançait donc par déduction, en observant les dégâts causés sur le cerveau et les conséquences visibles. Le neurologue Lionel Naccache expliquait sur France Inter :
La meilleure manière de savoir comment fonctionne un objet – cerveau ou machine à laver – consiste à analyser ses pannes (avc, lésions…)
Jusqu’au XIXe siècle, on était encore dans le flou à ce sujet. Deux grandes théories s’affrontaient :
- le cerveau serait un organe comme un autre, avec une fonction unique (corrolaire : plus le cerveau serait gros et plus il produirait de pensée, de la même manière qu’un gros foie secrète plus de bile qu’un petit).
- le cerveau serait une combinaison de zones séparées et spécialisées
La résolution de ce mystère scientifique démarre en 1860 à Paris. Monsieur Leborgne est un homme normal, sauf qu’il ne sait plus dire que « Tantan ». Paul Broca soupçonne qu’une lésion est responsable de ce dysfonctionnement… Hasard des choses, Monsieur Leborgne meurt peu de temps après et le chirurgien Broca peut vérifier son hypothèse. Et bingo, il trouve bien une lésion dans la région frontale du cerveau, connue aujourd’hui sous le nom de région « de Broca ». À chaque région du cerveau correspond donc une fonction précise.
En 1880, nouvelle avancée : une patiente du Dr Verrey est atteinte d’un mal étrange. Elle voit en couleurs du côté droit et en noir et blanc du côté gauche ! Conclusion : « Non seulement la vision fait appel à des zones particulières du cerveau mais, à l’intérieur de la vision, les couleurs, les mouvements les formes, sont analysées par des régions différentes du cerveau ! On peut donc perdre la perception des couleurs alors que le reste continue à bien marcher » explique le docteur Cohen.
Les recherches continuent… et bientôt une carte du cerveau est établie par l’anatomiste Korbinian Brodmann – et est encore utilisée aujourd’hui (la « carte de Brodmann« )
L’idée que le cerveau est composé de zones actives – et que tout le cerveau n’est pas actif à chaque instant – est alors installée. Le mythe selon lequel les performances intellectuelles dépendent de la taille du crâne vient de tomber ; place à un autre mythe : celui des 10%…
Le mythe des 10% d’utilisation du cerveau
Derrière ce mythe se trouve d’abord une observation simple : certaines régions peuvent être endommagées sans générer de dysfonctionnement visible. Après un traumatisme sur l’avant droit du cerveau, par exemple, on peut toujours marcher, parler, utiliser nos cinq sens… Ces régions muettes seraient donc inutilisées, voire inutiles ?
La réalité est toute autre, comme on s’en rend compte avec l’imagerie fonctionnelle : « Ces patients, bien que non paralysés, sont handicapés dans les dimensions les plus humaines de leur existence : agir et penser par eux-mêmes, faire preuve d’esprit critique ou d’humour, saisir l’intelligence d’une interaction sociale… »note Lionel Naccache.
Laurent Cohen, neurologue à l’ICM de la Pitié-Salpêtrière, renchérit, catégorique :
Il va falloir vous faire une raison, mais tout ceci est faux et à chaque instant, nous utilisons 100% de notre cerveau !
Ce mythe est pour lui « plein d’optimisme, car si nous n’employons que 10% de notre cerveau, cela voudrait dire aussi que nous disposerions d’une réserve conséquente et des performances qui vont avec ! »
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