Par Isabelle Levert
Un désir de non-relation
Les mots se multiplient mais ils tombent dans l’oreille d’un sourd. Il n’écoute rien, ou plutôt que lui-même et donc n’entend pas l’autre. Il s’est positionné secrètement en dehors de la relation, désengagé en fait. Il y a juste derrière le mutisme, dans son sillage, le désir de non-relation. D’ailleurs, poussé dans ses retranchements à dire enfin quelque chose, harcelé, en hurlant, il peut révéler le peu de cas qu’il fait des doléances de l’autre. Un cri strident perfore l’espoir d’une avancée ensemble et percute de plein fouet la confiance donnée à l’autre d’être là pour soi !
Cette boucle interactionnelle se répète quasiment à l’identique jusqu’à ce que la relation se déséquilibre dangereusement, provoquant une crise plus importante (en intensité et en durée) que les autres. Face au mutisme, l’autre finit par douter de la réciprocité des sentiments d’amour. En effet, est-il possible d’aimer et de le laisser dans la souffrance sans réagir, sans intervenir, sans réaffirmer l’importance qu’il a dans sa vie ? De déception en déception, les attentes se chargent de scepticisme, le doute se transforme en conviction de n’être rien pour lui.
Une violence sans coups
Le mutisme est une violence sans coups mais qui brise au-dedans, sans même ouvrir la bouche, mais qui à force de nier l’attachement fauche les jambes et coupe tout élan dans un vacarme intérieur assourdissant. Il laisse toute la place aux fantasmes, de l’un et de l’autre. Et pour l’autre, fantasmes pas si fantasques que cela puisqu’ils germent à partir de faits significatifs d’insignifiance. Le mutique peut même partir pendant qu’on lui parle, sans dire ni où il va ni quand il revient. Ultime provocation que de planter l’autre avec son discours qui se mue immédiatement en boule au travers de la gorge. Estomaqué, sonné, il est submergé d’émotions et de pensées, contradictoires, confuses, douloureuses, qui se heurtent les unes contre les autres dans la tête.
À chaque nouvelle scène, elles s’estompent plus lentement, plus difficilement. Il faut dire que le mutique ne dit rien qui permettrait de les remplacer par de plus heureuses.
Une diabolisation de l’autre
Dans l’espace immense du non-dit, arrachés au mutique qui les lâche comme une grenade, les mots de désamour, les seuls dégoupillés, résonnent sans autre écho qu’eux-mêmes. L’autre ne peut pas les oublier, ces mots réitérés déjà plusieurs fois en dépit de leur brûlure, soit parce qu’ils sont la vérité finale du mutique, soit parce qu’il se sert de leur atrocité comme d’un bâillon. Seul lui importe leur pouvoir de réduire l’autre au silence. Ces mots le tétanisent. Petit à petit, ils insèrent la peur au centre du cœur. Et quand il cherche à être rassuré, il n’obtient au mieux qu’un maigre « je ne sais pas » qui accentue encore le fait que rien ne fait sens, que le mutique est par avance convaincu d’avoir raison de se taire. Un filtre tronque toutes les perceptions ; il a pour nom : diabolisation.
L’autre entend ce que le taiseux ne dit pas, il ressent ses pensées, souvent. C’est assez facile. Les yeux se détournent, les réponses sont laconiques… L’inconscient reçoit les messages du corps. Lassitude pour l’un, impuissance pour l’autre, encamisolé dans les hantises, mis dans le même sac que ses congénères. Les phrases qui commencent par « vous, les gonzesses (les mecs, les ados, etc)… » sont révélatrices de stéréotypes, de réduction de la personne à une classe, de décontextualisations et de généralisations hâtives. Quand elle résiste contre cette perte d’unicité, ses réactions sont à nouveau isolées de ce qui les précède et jugées incongrues.
L’un se déresponsabilise de l’évolution désastreuse de l’interaction et l’autre retrace encore et encore l’historique pour recadrer les choses. Vainement. Le mutique en profite pour requalifier son attitude en trêve, arrêt des hostilités qu’il décide unilatéralement. Il se plaint des longues litanies de l’autre, mais ne lui donne jamais le sentiment d’être compris.
Un dialogue impossible
Pourtant, dans un couple, les désaccords sont inévitables. On doit pouvoir en parler, échanger les points de vue, réfléchir aux arguments ou aux objections, établir des compromis. Rien de tel avec un mutique barricadé dans sa subjectivité. Ce ne sont que des concessions qui l’incitent à se cloîtrer de plus en plus. L’autre ressent cela comme une insuffisance d’amour, sans quoi il lui concéderait du temps, de l’investissement et de l’importance.
Il arrive aussi qu’il remette la relation en question, creusant ainsi l’insécurité affective, ou alors qu’il fournisse des efforts inutiles sans répondre aux besoins. À la suite, une baisse de moral, un oubli… tout prend la couleur du manque d’attrait. L’autre navigue entre le chagrin, l’angoisse, la révolte et les revendications tandis que le mutique se réfugie dans la sinistre pensée que la vie de famille ne lui convient pas.
« Est-ce mieux seul ou à deux ? »
Le conjoint parvient péniblement à la conclusion qu’une question existentielle n’a pas été réglée par son partenaire : « Est-ce mieux seul ou à deux ? » et qu’elle ne peut pas l’être en deux coups de cuillère à pot mais il n’a pas le courage de s’éloigner pour qu’il ait à se positionner. À intervalles réguliers, elle revient sur le tapis, lancinante. Elle taraude l’un et mine l’autre. Obsédante, elle occupe toute la place et fait obstacle à l’intimité et au dialogue. Elle ruine l’harmonie tant qu’elle n’a pas de réponse arrêtée une fois pour toutes.
Il ne peut pas cohabiter avec elle, qui se love entre eux. Rien que de sentir ce danger, là, dans les parages, toutes les plaies se rouvrent. Il sait qu’il ne compte plus quand l’autre danse avec ses doutes. Ils l’ensorcellent et effacent tous les charmes de la vie à deux. Cette question, du simple fait qu’il se la pose de façon récurrente, le convie à des noces avec la solitude. S’il rompt ses vœux, ce sera pour rejouer le même théâtre… un peu plus tard, ailleurs. Chaque fois qu’elle sonne à la porte, il s’empresse de lui ouvrir. De n’avoir pas reçu de réponse définitive, elle revient sans qu’il découvre les véritables raisons de sa venue incessante : son infidélité à l’amour dans lequel il ne s’engage pas.
Au centre : la question de l’engagement
Les reproches non formulés à voix haute sont une toxine dont on ne peut pas se défendre. Sans doute le mutique n’a-t-il pas conscience qu’ils tuent et que de ne pas les mettre au débat, ils le rongent. Souvent, la relation est mise au rebut et avec elle, le conjoint.
La problématique du mutisme soulève la question de l’engagement. Quiconque pour s’épanouir dans une relation a besoin que l’autre l’inscrive lui aussi dans la continuité, qu’il s’ouvre, donne accès à son intimité psychique et pas seulement physique. De cheminer ensemble, désireux d’avancer main dans la main – d’un désir sans défaillance –, l’un et l’autre peuvent aller, parce que confiants, au-delà d’eux-mêmes et dans des contrées inconnues.
Le mutisme traduit l’ambiguïté d’un ni avec ni sans. Je suis là sans être là pour toi. Je ne suis vraiment ni avec toi ni sans toi.
11 comments on “Mutisme dans le couple : quand le silence fait mal”
Hervé
14 novembre 2022 at 08:39Je suis marié depuis 03 ans et ma femme est étrange. Au départ je sentais que quelque chose ne colle pas mais je savais pas trop quoi.Apres la lecture de cette article je comprends que je suis en couple avec une mutique. Que faire? Nous avons déjà de magnifiques garçon que je souhaite vraiment de grandir dans une famille.
Je suis triste, détruit, abandonné, incompris,non aimé et délaissé a moi même et dans tout cette enbrouille, ces vagues de tristesse fréquent qui dévaste mes émotions, je me sens réduit à un légume destiné à travailler dure pour régler les factures, rien de plus.
Parfois, dans un élan de désespoir,je languis après quelques paroles valorisante pour me donner unpeu de courage pour affronter les challenges de la vie.
Je ne souhaite ce supplice que que je traverse a personne ,même a mon pire ennemie.
Car autant mieux être seul toute une vie que d’être en couple avec une mutique orgueilleuse,impolie et extrêmement fière.
Céline
5 novembre 2022 at 15:13Voilà une très bonne analyse et les commentaires sont très sincères également
Cependant, j’aime un mutique depuis 50 ans et j’ai vraiment tout essayé pour changer les choses sans résultat, j’ai compris un peu trop tard qu’il s’agit tout simplement d’un manque d’amour et d’un manque d’intérêt pour l’autre
Fuyez votre mutin ça ne fera mal qu’une fois
Triste record de mutisme 4 mois
UnHomme
14 avril 2021 at 13:08Merci pour cet article.
Possible que je sois mutique. Au lien de discuter jai commencé a plutot de garder le silence.
Oui, pas necessairement la bonne solution a long terme.
Je pense que dans mon couple, nous avons les deux mal gérés des situations et que malheureusement on se retrouve dans cette situation.
Difficile de dire comment on va en sortir, ou pas…
J’ai aussi appris durant les annees, que quand on aime, faut aussi savoir laisser partir.
Soyez forte… et courageuse
Fabienne Muriset
30 janvier 2021 at 17:52Bonjour,
Je suis mariée depuis 36ans avec un mutique. C’est dévastateur. Je n’ai plus d’estime de moi, j’aimerais comprendre mais impossible…
Lié également à mon travail, j’ai fait un burnout. Seule à décider quand j’ai donné mon congé au travail, seule en couple, seule…. et j’entends les phrases: mais tu as un mari si gentil! Je suis détruite, j’ai peur de ne pas arriver à m’en sortir seule. Je suis malheureuse et je culpabilise : j’ai un toit, un mari gentil, des enfants etc
Des moments, je suis si fatiguée que j’ai envie d’en finir. Ce que je ne veux pas !!!
Fabienne Muriset
30 janvier 2021 at 17:51Bonjour,
Je suis mariée depuis 36ans avec un mutique. C’est dévastateur. Je n’ai plus d’estime de moi, j’aimerais comprendre mais impossible…
Lié également à mon travail, j’ai fait un burnout. Seule à décider quand j’ai donné mon congé au travail, seule en couple, seule…. et j’entends les phrases: mais tu as un mari si gentil! Je suis détruite, j’ai peur de ne pas arriver à m’en sortir seule. Je suis malheureuse et je culpabilise : j’ai un toit, un mari gentil, des enfants etc
Des moments, je suis si fatiguée que j’ai envie d’en finir. Ce que je ne veux pas !!!
Sandra
22 mars 2021 at 03:07Je suis dans la même situation moi aussi. La solitude est pesante. Nous n’avons que 15 ans de mariage mais je ne comprends pas cette attitude de mon mari. Peut être pourrions nous nous soutenir mutuellement ?
Khalida bessaa
5 janvier 2023 at 01:36Bonsoir mon nom est khalida je suis mariée depuis 11 and mon mari n’a pas toujours été silencieux mes ces derniéres annés il est devenue trés rencunier aprés une dispute ou un malentendu 4 á 5 mois de mutisme sans un mot j’essaye de lui parler pour avoir des réponses mais rien sa seule reponse est je suis bien comme ca je ne veux plus parler sa me tue á petit feu me stresse pour mon avenir . Pensez vious au divorce ou c’étais sa façon de faire
MaRose
15 novembre 2021 at 23:32Idem avec seulement 13ans de mariage! Je ne sais plus quoi penser, je suis effectivement encamisolée dans des hantises diaboliques! J en souffre et je me détruit. Peur de décider seule, peur de faire du mal si je claque la.porte! Comment s en sortir?
Courage à toutes celles qui vivent la même situation.
Favorable à échanger, s entraider
AD
31 décembre 2022 at 16:32mutique depuis 4 mois, je n’arrive pas à franchir le pas… 26 ans ensemble dont 14 ans de mariage, 2 filles de 10 et 14 ans
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