« Une poule sur un mur… » : plongée dans l’enfer des violences domestiques


Par Charlotte Arce

Julie Dénès, "Une poule sur un mur..." : "On peut subir des violences épouvantables sans que personne n'en sache rien"

Quand elle avait 22 ans, Julie Dénès a vécu l’enfer. Prise au piège dans une relation abusive, dans laquelle son compagnon d’alors l’insultait, la frappait et la violait, elle en a tiré quinze ans après les faits « Une poule sur un mur… » (Éd. Michalon). Dans ce récit autobiographique cru, brut mais nécessaire, elle décrit avec justesse le cycle de violence dans lequel s’enferment les victimes de violences.

Quand on ouvre « Une poule sur un mur… » de Julie Dénès, il faut être préparée. Préparée à la crudité des mots, à la brutalité des situations décrites. À la violence que la jeune femme dont elle raconte l’histoire, Ève, a subi chaque jour pendant plus de deux ans. Prise au piège dans une relation abusive avec un homme qui l’ignore, l’humilie, l’insulte, la frappe et la viole, Ève s’enferme peu à peu dans un cycle de violences inimaginables, qui la marqueront à jamais.

Ce récit, brut mais absolument nécessaire pour comprendre la spirale infernale dans laquelle tombent les victimes de violences domestiques, est d’autant plus difficile à lire quand on sait que la jeune protagoniste, Ève, n’est autre que l’alter ego de Julie Dénès.

Ce cauchemar qu’elle décrit, c’est elle qui l’a vécu lorsqu’elle avait 22 ans. Jeune, insouciante, pleine de vie, elle s’installe à Bordeaux pour faire sa maîtrise de droit. « J’arrivais dans une ville inconnue, où je ne connaissais personne. J’étais privée de tous mes repères, j’étais loin de ma famille, loin de mes amies proches », nous raconte Julie Dénès. C’est dans ce contexte qu’elle fait la connaissance d’Éric. Beau gosse et séducteur, elle tombe rapidement sous le charme de cet homme qui sort lui sort le grand jeu. « Je me suis accrochée à lui en me disant que c’était exactement ça que je voulais : un homme qui bosse, qui m’emmène au restaurant, qui est attentionné. »

Mais très vite, Éric change. Leur second rendez-vous, au domicile d’Ève, fait tout basculer. Alors qu’ils sont sur le point de faire l’amour, Éric et Ève se rendent comptent qu’ils n’ont pas de préservatif. Elle lui dit alors d’arrêter, mais lui ne l’écoute pas et la force à avoir une relation sexuelle. Au moment de partir, il lui lance : « Tu sais ce qu’on dit quand une femme pleure après l’amour ? C’est qu’elle a vraiment aimé ça. » À ce moment-là, la jeune femme ne réalise pas qu’elle vient de se faire violer.

Le cycle de la violence

Pourtant, à l’époque, Julie minimise ce qui vient de se passer. Manquant cruellement de confiance en elle, en attente d’affection et d’amour, elle s’enferme peu à peu dans cette relation toxique. « Les pervers narcissiques vont chercher des gens qui ont beaucoup d’empathie, qui manquent de confiance, qui ont besoin de tendresse. Il a trouvé tout ça chez moi. »
« Petit à petit, il se fait absent, il me laisse poireauter pendant des heures alors qu’il avait dit qu’il viendrait. Parfois, il passe chez moi alors que je n’étais pas là et me fait des reproches. Du coup, je m’en veux et je sors de moins en moins souvent. C’est progressif, ça se passe sur des semaines et des semaines mais il m’en vient à m’enfermer complètement. Je n’ai plus le droit de sortir, hormis pour aller en cours. Le reste du temps, je l’attends. »

Jaloux, possessif, Éric va aussi montrer manipulateur et cruel. « Il m’a tenu à partir du moment où il m’a fait parler de toute ma vie intime avant lui. Il n’a pas ensuite cessé de s’en servir contre moi. »

Pourtant, parfois, Éric redevient l’homme des débuts de leur relation. « Il refaisait attention à moi, m’offrait un cadeau, m’emmenait quelque part, me faisait des promesses. » C’est ce qu’on appelle le cycle de la violence, dans lequel s’enferment les victimes de violences domestiques. « Au début tout va bien. Puis viennent la première tension, la première humiliation. Puis c’est à nouveau la lune de miel avant que tout redérape », nous explique Julie Dénès. « On s’enferme petit à petit dans ce cercle-là car il devient de plus en plus violent. On en vient d’ailleurs souvent à la violence physique. »

« C’était soit lui, soit moi »

Cette violence physique, Julie Dénès l’a aussi vécue. Régulièrement violée par l’homme avec qui elle partage maintenant sa vie, elle est poussée contre les murs, jetée à terre. Un soir, celui du Nouvel An, c’en est trop pour elle. Alors qu’elle s’attendait à une soirée en amoureux, il arrive très en retard. Lorsqu’elle lui formule des reproches, il la force à s’asseoir sur une chaise et l’insulte pendant de longues minutes. S’ensuit des violences physiques et un nouveau viol. C’est à ce moment que Julie Dénès, pour faire face à la violence inouïe qu’elle subit, chante dans sa tête la comptine « Une poule sur un mur ». « Je ne sais pas d’où elle m’est venue. Une comptine renvoie à l’enfance, à l’insouciance, à l’innocence. Elle m’est venue à l’esprit à un moment où je n’arrivais plus à contenir la violence et la souffrance que je recevais. Je me dis souvent que c’était soit lui, soit moi. Soit je sombrais complètement, soit j’arrivais à me protéger et à quitter l’instant présent. En chantant, je ne l’entendais plus m’insulter. Cette comptine m’a protégée de ses mots. »
À la suite de cette terrible soirée, elle prend la décision de le quitter. « J’ai mis neuf mois à planifier mon départ. Mais à partir du moment où ma décision a été prise, j’ai retrouvé une certaine forme de liberté car je ne l’attends plus. Je recommence à sortit, je vais en cours, je vais courir. »

Quand on demande à Julie Dénès pourquoi être restée si longtemps dans cette relation toxique, sa réponse est celle que formulent beaucoup de victimes de violences. « J’étais à Bordeaux pour faire ma maîtrise et il fallait que je la réussisse coûte que coûte. Mes parents finançaient mes études, je n’avais pas droit à l’échec. De plus, il avait les clés de mon appartement, et récupérer les clés, j’ai essayé plusieurs fois, ça ne fonctionnait pas. Enfin, il me faisait chanter après m’avoir forcé à faire une sextape : si je le quittais, il l’enverrait à mes parents. Or, faire souffrir mes parents ou leur faire honte, je ne pouvais pas. Il n’y a jamais une seule raison pour laquelle on reste, c’est une multitude de raisons, ils ont trouvé comment nous tenir sous leur joug. »

L’écriture comme catharsis

Lorsqu’elle a recouvert sa liberté et est repartie vivre en Bretagne, Julie Dénès a tenté d’enfouir cette histoire au plus profond de sa mémoire. « C’était quasiment un déni, je refusais d’y penser, je pensais être libérée. On laisse ça de côté mais on n’est jamais libérée. Ça nous ronge le corps et l’esprit. »
Il lui a fallu quinze ans pour réussir à faire face à ce qu’elle avait vécu. « Plusieurs fois auparavant, j’ai essayé d’écrire mais j’ai renoncé. Les mots justes me sont venus cette année. Quand j’ai ouvert mon ordinateur, le texte est sorti d’une traite. Je pense que j’ai été assez forte car je suis entourée : j’ai mes enfants, ma famille. »

Aujourd’hui, Julie Dénès va mieux. Juriste de profession, elle est engagée auprès d’associations pour la défense des victimes de violences domestiques. « Beaucoup d’entre elles m’écrivent, je leur dis qu’il n’y a pas à avoir peur, à avoir honte, à culpabiliser. Ce n’est vraiment pas de notre faute. Il faut aussi que l’entourage en ait conscience parce qu’on peut sembler aller bien, subir des violences épouvantables sans qu’on ne voie rien. Je leur dis aussi de fuir, même si l’on a peur de ne pas être suffisamment accompagnées, suffisamment protégées par les instances. Il existe de super associations qui font un boulot incroyable pour venir en aide aux femmes qui en ont besoin. »

Avec la sortie de « Une poule sur un mur… » en septembre, Julie Dénès continue à raconter son histoire pour mieux donner la parole aux femmes qui, comme elles, ont subi des violences conjugales. Très engagée pour une meilleure prise en charge des victimes, elle a suivi attentivement l’allocution d’Emmanuel Macron et les annonces faites dans le cadre de la Journée contre les violences faites aux femmes. « Il y a des bonnes choses annoncées : pré-plainte notamment, qui permet de faire venir la police à la victime. C’est épouvantable de se rendre dans un commissariat pour porter plainte pour viol ou violences conjugales. » L’éducation des enfants à l’égalité entre les femmes et les hommes et le rallongement des délais de prescription pour les victimes mineures sont aussi des avancées saluées par Julie Dénès, qui regrette toutefois un « budget insuffisant ». « On peut proposer un plan d’envergure, ambitieux, mais faute de moyens, il ne pourra pas être mis en place. C’était un beau discours, plein de promesses. Maintenant, il va falloir qu’il les tienne. »

"Une poule sur un mur..." de Julie Dénès
« Une poule sur un mur… » de Julie Dénès

Julie Dénès, « Une poule sur un mur… », Éd. Michalon, 17 euros.

Terrafemina

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